La commune d’Indre est reconnue depuis bien longtemps pour la qualité de ses propositions culturelles via les associations Ici ou là, la Compagnie des Indres et d’autres, associations animées par l’art et la solidarité. Le versant éducatif, par le biais des écoles maternelles de Haute Indre (La Pierre Mara) et de Basse Indre (Jules Ferry) s’inscrit tout autant dans un axe artistique et solidaire. Preuve en est ce projet de composition, interprétation, enregistrement et publication discographique d’un support CD sur lequel figurent pas moins de 185 enfants. Si l’on lit dans le dossier de presse que « la tolérance, le vivre ensemble et la solidarité ont été spontanément mis en avant par les enfants au cours de leur travail d’écriture », on ne pourra que féliciter l’objectif, alors que ce même territoire communal via sa politique, a récemment manifesté des prises de position bien à l’opposé de ces valeurs. Rencontre avec Catherine Musset, directrice de l’Ecole Jules Ferry, Leila Bonous et Frédéric Praud, tous deux musiciens, tous trois citoyens indrais.
Crédits visuels, dessins : Olivia Cosneau
Pourquoi ce projet de disque avec les enfants de l’école ?
C : Je me suis dit au début qu’on avait quand même un potentiel d’artistes sur la commune qu’il aurait été dommage de ne pas exploiter au niveau des écoles. Et puis, nous sommes plusieurs à l’école à aimer chanter, à écouter de la musique. Et puis enfin, il y avait l’idée de travailler quelque chose qui pouvait mettre en lien les deux écoles, Haute Indre et Basse Indre, , et qui pouvait avoir un lien avec le territoire. Enfin, il y a eu le contexte politique de la commune qui a impulsé encore plus fortement ce projet.
Et pour les enfants ?
C : Cela permet de travailler sur toute la chaine, depuis l’écriture des chanson à leur présence sur un disque. Et puis le CD est un objet qui reste, les enfants adorent écouter de la musique, adorent chanter, ce disque est aussi un souvenir. Les enfants sont dans l’objet, le concret. Il y a aussi tout le volet illustration qui les intéresse, le papier, le toucher, c’est quelque chose de palpable. Plusieurs compétences ont été abordées avec les enfants sur un projet concret dont ils étaient acteurs. Le travail d’écriture des six chansons a été porté avec les élèves de grande section des deux écoles, les petits et moyens ont travaillé sur la création sonore et sur des comptines du monde qui sont intégrées dans le CD.
L : Si l’on avait fait un enregistrement uniquement pour le numérique, çà n’aurait eu aucun sens pour eux.
F : Et puis, çà va dans le sens du projet pédagogique de l’école qui est très axé autour du livre.
Fred et Leila, le cadre un peu « rigide » de l’école a-t-il influé sur votre travail ?
F : Il y a pas mal de contraintes. Le cadre scolaire a ses règles définies, et qui plus est dans la toute petite enfance. Et puis, l’idée était bien de faire parler les enfants sur un sujet en lien avec le territoire avec de l’imaginaire. A partir de là, je les ai fait parler, j’ai collecté les idées, les mots, les expressions, et ensuite je les ai mis en forme. Il y a des mots clés dans les chansons qui ont été dits par les enfants : gilet de sauvetage ailé, aspiré par un long tuyau noir… On a tenté de coller à la réalité d’Indre : les trois îles, le fleuve, la Pierre Mara qui était une pierre dans le fleuve, dernier signe pour les marins avant le port de Nantes, le marché etc…
C : On a tenté de faire des ponts entre l’imaginaire et la réalité sans nommer cette réalité car ce serait trop concret pour eux dans leur histoire. Avec l’association Ici ou Là, on a déjà travaillé sur ces notions de territoire avec le projet de la carte subjective avec la Compagnie La Glacière il y a deux ou trois ans.
Quels ont été les partis pris en termes de musique ?
L : Le parti pris musical a été de partir dans le champ des musiques du monde, car on est bien dans l’esprit de tolérance, d’échanges culturels. J’avais envie de faire un tour du monde musical, en prenant les continents. Il y a donc des inspirations venant principalement d’Asie, d’Afrique, et Catherine a choisi des comptines traditionnelles libanaises, roumaines et une comptine tahitienne, en lien avec la présence d’enfants de ces pays dans l’école, et de l’importance pour moi de la langue arabe présente au Liban. Pour moi, ce fut un challenge, je n’avais jamais fait çà. J’ai dû faire attention aux rythmes, il a fallu modifier des phrases ou des mots pour que ce soit plus facile à chanter. Catherine a porté le travail de chant et de répétition, elle est elle même choriste, donc à l’aise avec çà. On a beaucoup travaillé jusqu’à l’enregistrement.
C : Je crois que pour porter un projet comme celui-là, il faut aimer chanter.
Et les instruments ?
L : Beaucoup de musique assistée par ordinateur, au vu des moyens et du temps imparti. J’ai quand même fait intervenir des cuivres. Pour le reste, ce sont des instruments traditionnels présents dans l’ordinateur, puisqu’on va en Afrique : du balafon, des tambours, des flûtes.
Et l’enregistrement s’est fait en plusieurs prises j’imagine ?
C : On a fait çà dans l’auditorium de l’Ecole de Musique avec Nicolas Thebaud. On a fait des groupes d’enfants par niveau, en sélectionnant les « bons chanteurs » en les enregistrant eux à part pour avoir une base solide.
L : Ca n’a pas été simple au début de partir au même moment. On a mis en avant les 15 bons chanteurs et les autres ont été enregistrés dans un second temps, avec aussi la voix d’une fille de 12 ans qui fait office de voix témoin. Ce n’est pas évident de faire chanter ensemble autant d’enfants… L’enregistrement a duré deux jours, moi après j’ai passé pas mal de nuits à retravailler le mix. On a été tributaire du temps avec un disque qui sort le 30 juin, le temps du pressage, un retro planning très serré. Mais on bien géré le temps quand même.
Et le travail graphique ?
C : On a travaillé avec une illustratrice qui vit à Basse Indre, Olivia Cosneau sur une technique de découpage/collage. Elle a amené toutes les formes, les gamins les ont tracées, découpées. Elle a fait aussi la maquette du livret du disque. On a fait imprimer des posters qui seront en vente aussi.
Ce projet réunit deux écoles, combien d’instituteurs/trices ?
C : Il y a sept enseignants concernés par ce projet. Au début, il était pensé pour l’école de Basse Indre, mais vu le contexte politique, les petites querelles parfois entre Haute Indre et Basse Indre, je me suis dit qu’il fallait un projet où les deux écoles travaillent ensemble.
F : Il y a deux choses, la question des migrants européens qu’on connait bien ici ;), et la question des rivalités de clochers qui existent dans chaque commune depuis toujours. C’est plutôt de bonne guerre de faire un contre pied à ces mauvaises habitudes de rivalités. Mais c’est marrant, j’ai trouvé dans l’écriture des chansons des différences d’imaginaire. Je dirais qu’à Basse Indre, l’imaginaire était assez délirant et fou, alors qu’à Haute Indre, on est plus dans un imaginaire poétique.
C : Et puis chaque enseignant a sa personnalité, sa façon de voir les choses.
Quels financements avez-vous eu pour le projet ?
C : Dans l’éducation nationale, tu as zéro argent pour ce genre de projet. On prend sur les crédits municipaux qui nous sont alloués pour les projets pédagogiques, et on a demandé une subvention exceptionnelle de 2.000 euros à la mairie qui nous a été accordée, et puis après on a une coopérative d’école. On a aussi fait des actions pour récupérer des sous, vente de brioche, des sacs, des tabliers… Le projet a coûté au total environ 8.000 euros. De toute façon, on l’aurait fait même sans aide. On aurait trouvé des solutions. Et puis, il y a les ventes de CD. Chaque enfant et adulte participant aura un disque offert, mais on en propose 300 à la vente, à raison de 10€ l’unité, ce qui ferait aussi un apport. Nous avons lancé les souscriptions et il y a déjà 103 disques préachetés.
Alors, justement, il y a une sortie de disque le 30 juin, une petite fête ?
C : Les enfants vont chanter les six chansons, les trois petites comptines, on expose tout ce qu’on a pu faire autour de ce projet, les dessins, des maquettes de bateau etc. Il y aura un diaporama du déroulé du projet, on a fait beaucoup de photos, des vidéos, des enregistrements sonores. On leur fait raconter le projet sur le diaporama.
Pour conclure, vous évoquez dans le dossier de presse des notions de solidarité, de vivre ensemble, de tolérance. Vous faites écho à ce qui s’est passé le 29 avril dernier, l’expulsion des Roms ? Chez les enfants, çà fait écho ?
F : Pour nous les adultes, çà fait écho. Mais les enfants ont spontanément parlé de çà. Dans l’histoire imaginée, il y a un bateau qui navigue sur le fleuve, et il fait naufrage. Qu’est ce qui se passe dans cette situation ? On aide les gens, on les sauve, peu importe d’où ils viennent, qui ils sont.
C : Pour eux, ce sont des valeurs naturelles.
L : Il ne faut pas focaliser là-dessus, on l’aborde de manière joyeuse et festive finalement. Il y a eu aussi les élections municipales où un programme basé sur une haine raciale a été validé. Ce projet est un pied de nez à tout çà.
C : Il y a eu aussi dans le programme électoral un discours par rapport à la culture soit-disant une culture de bobos. L’école a pour mission d’amener les enfants vers la culture.
F : Ce projet est un message positif. J’ai des amis corses qui ont participé à un projet d’école où les enfants devaient reprendre la chanson « Imagine » de John Lennon en plusieurs langues. Et bien, certains parents ont menacé les instituteurs de boycotter la fête de l’école ou de siffler pendant le couplet chanté en arabe. Il y a donc des signes très haineux. Mais, il y a aussi des signes heureux. Il faut porter un message un peu positif. Le disque est happy !
C : Ce projet a créé une belle dynamique.
L : On a eu notre lot d’émotions le 2è jour d’enregistrement, notamment sur le morceau « La fête ». Les enfants ont super bien chanté, y avait une belle bulle d’énergie au-dessus d’eux, j’avais limite les larmes. Une bien belle expérience !