Je suis là où je vais, déjà là bas, je ne sais pas si cet endroit sera ma vie, si je m’enfuis.
Je n’ai pris ni lecture ni de musique, tant pis, je vais rêvasser en laissant filer le paysage, comme dans un clip de l’horrible Voulzy.
Il me faudrait dix mille yeux pour tout voir, je note mentalement.
Deux joggeuses fluo sur un chemin de terre.
Le passage à niveau qui sonne en continu (85 dB).
Un alignement de pieds de vigne, comme un cimetière de guerre américain.
L’affichage digital des stations qui défile à l’envers, en reflet sur la vitre.
Un champs inondé, comme un lac sans fond.
Des voitures en file, arrêtés, qui laissent passer sa majesté le train.
Des branchages morts dans les buissons du bas-côté, secoués par le vent froid.
Des portiques aux balançoires désertées dans chaque jardin.
Un monticule étrange au loin dans un champs. Bois ? Terre ? Machine de métal (de musique) ?
La toux caverneuse, chargée de miasmes, de l’adolescent élancé à côté.
Nuée d’oiseaux dans le ciel gris semé de poteaux électriques.
Un mobile-home près d’une rangée de parpaings plus longue que lui.
Des pellicules sur mon pull noir, je suis nerveux ces temps-ci, ça me gratte.
Des alignements de petites maisons – little boxes – certains propriétaires en sont fiers.
Des marques sombres sur le bitume, il pleut ?
Un tag sur le mur d’une gare: fume un spilf POTO COMIK – tiens je me suis trompé j’ai noté comik au lieu de conik.
Une maison blanche aux volets bleus, toute seule dans un champs vert.
Des corbeaux qui font les fous au sol, dans un pré, façon Heckle & Jeckle.
Une belle vieille ferme où nous aurions aimé habiter (si elle n’était pas si près des rails).
Une belle vieille femme à quatre rangées de mon fauteuil. Nous essayons de ne pas croiser nos regards, immobilisés que nous sommes dans ce cinéma ambulant. Elle ressemble presque à Rina Ketty sur la pochette d’un 25 cm resté dans la demeure familiale.
Rina dans un wagon.
Que deviennent les Weena Ragone ?
Tatac tatoum… (50 dB)
Un bout de sac plastique blanc accroché dans un arbre maigre, comme un drapeau de reddition en lambeaux.
Un pigeon qui semble faire la course avec le train (et qui perd).
Des éoliennes, figées (regarde-les mon amour, comme elles sont belles).
Le temps qui file plus vite que je ne pensais (mais je pense lentement).
Un vieux marigot plein de lentisques sur lequel flotte une élégante barque bleue (ciel).
D’opulentes colonnes romaines devant de standards pavillons gaulois.
Une roulotte de couleur (mauve/violet), presque celle de Jérôme d’Alphagraph.
Des alignements de mobile-home entourés de clôtures grillagées, ambiance Pologne 1942.
Un coq percé dune flèche au faîte d’un clocher gothique.
Des endroits que je connais, il me semble.
La fin du voyage ?
