ARMEL DUPAS : PIANISTE QUI ECOUTE LES VOIX

Alors que son premier disque solo, Upriver, vient de sortir chez Jazz Village/Harmonia Mundi et qu’il a ravi les publics des derniers Rendez-vous de l’Erdre à Nantes, voici quelques propos échangés avec Armel Dupas, musicien-compositeur-arrangeur en plein essort.

Photo bandeau et ci-dessous – Armel Dupas © DR

 

La découverte de l’album « Upriver » est une surprise par rapport au précédent, celui de Waterbabies « Inner Island » paru il y a deux ans chez Naïve. Dans ce duo, il y avait une dimension virtuose et tendue qui est absente de Upriver, un album qui ne semble pas vouloir faire de démonstration…
Je suis heureux de te l’entendre dire car ça veut dire que le message est bien passé. Sometimes I need some times, qui figurait aussi au répertoire de Waterbabies, dit bien ce que je ressens à ce sujet. C’est une ode à la patience et à la lenteur. Ce sont des notions que j’aime, particulièrement dans la période contemporaine où on fait des connections rapides avec le monde dans des avatars d’intimité. Je vais ici à contre-courant, Upriver en anglais, de cette accélération démonstrative.

« Upriver » n’était-il pas déjà le nom d’un projet que tu as présenté en 2010 au Conservatoire de Nantes ?
Oui, c’était un octet. Un quatuor à cordes plus voix et saxophone (Chloé Cailleton et Lisa Cat-Berro que l’on retrouve dans le nouveau CD), une guitare et moi au piano. Ce projet coïncidait avec la découverte du pouvoir de l’écrit et l’envie de l’écriture, en particulier pour le quatuor à cordes, après avoir été un jazzman improvisateur. La découverte suivante à été celle de l’électronica, c’est à dire plonger des instruments acoustiques dans un bain de sons et d’ambiances générés par l’électronique, des effets les plus simples (reverb, delay) à d’autres beaucoup plus complexes (reverse, fragmentation du son). Ce qui m’a conduit à reprendre le titre « Upriver » dans l’album en y ajoutant un pont qui m’a été suggéré par David Linx, avec qui je travaille. C’est la suite de cet octet mais avec l’envie de parler à la première personne, à la différence de Waterbabies où je devais composer avec mon partenaire Corentin Rio, même si celui ci est extrêmement ouvert aux suggestions. Dans ce nouveau projet, j’ai eu la chance de rencontrer Mathieu Penot, un batteur lui aussi, qui a capté le message que je voulais faire passer et réalisé toute la partie électronica sur ce disque. Pour illustrer ma vision, je pourrais évoquer le rapport entre un film, mon jeu de piano, et la musique du film, le travail sonore de Mathieu, qu’on est censé remarquer à peine mais qui importe profondément.

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La modification des sons n’est pas une nouveauté depuis Pierre Henry et Stokhausen et ton cursus au Conservatoire National Supérieur de Paris, comme à Nantes, avaient dû te familiariser avec ces expérimentations…
Non, pas vraiment. C’est plus par la pop que j’y suis arrivé. La pop actuelle qui manipule ces moyens électroniques. Il se trouve que ces compositeurs contemporains comme Steve Reich, John Cage ou Pierre Henry etc… m’arrivent par les réactions et les associations que provoquent pour les auditeurs ce nouveau disque, « Upriver ». Mon chemin dans les Conservatoires est plutôt passé par des classes de jazz mainstream, combo acoustique et standards. J’ai vraiment découvert l’électronique dans la musique par Radiohead et les groupes pop et c’est d’ailleurs Mathieu qui m’y a initié.

Pour poursuivre, j’aimerais évoquer ton parcours et les rencontres marquantes qui l’ont jalonné.
Aujourd’hui, je joue dans la formation d’Henri Texier, Sky dancers avec Nguyên Lê à la guitare,  Sébastien Texier et François Corneloup aux anches et Louis Moutin à la batterie. C’est une expérience formidable qui doit déboucher sur un disque l’an prochain. Mais, en remontant le temps vers les origines, ma première expérience, dans l’apprentissage, a été auprès de Jean Marie Bellec, le créateur du département jazz du CRR de Nantes. Ensuite, j’ai migré vers le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris où j’ai intégré la classe de jazz, ce qui a été l’occasion de multiples découvertes favorisées parfois par notre responsable, Ricardo del Fra. C’est alors qu’à l’invitation d’Alex Beaupin, le chanteur musicien collaborateur du cinéaste Christophe Honoré, j’ai travaillé sur la bande originale du film Dans Paris. Ensuite, il y a eu d’autres musiques de film comme celle du film d’Arnaud Desplechin « Un conte de Noël » ou celle de « L’écume des jours » de Michel Gondry. En 2007 j’ai rencontré la violoniste Fiona Monbet avec qui j’ai pas mal tourné et enregistré un disque, O’céol, et j’ai fait une rencontre majeure : le batteur et historien de la batterie Georges Paczynski avec qui j’ai collaboré sur son album Présences. En 2011 j’ai intégré la formation de la chanteuse Sandra Nkaké avec qui j’ai fait plus de cent concerts autour du monde, et puis j’ai fait mes premières armes d’arrangeur pour le disque de la chanteuse Cécilia Bertolini : Gotta do it. Cette dernière collaboration m’a fait beaucoup évoluer dans le métier.


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Tu cites ici deux chanteuses. Tu viens aussi de mentionner ta collaboration avec David Linx. Waterbabies utilise des vocodeurs pour intégrer ta voix et celle de Corentin Rio dans la matière sonore. Y a-t-il un lien fort avec les voix dans tes choix ?
Certainement. Il faut d’ailleurs mentionner que j’ai aussi collaboré avec la chanteuse suédoise Sofie Sörman et ponctuellement avec Catherine Ringer et Nolwenn Leroy. En ai-je oublié ?

Et si tu devais évoquer des pianistes qui te parlent aujourd’hui, à qui penserais-tu ?
Le premier qui me vient à l’esprit est Nils Frahm, un pianiste berlinois de ma génération (né en 82) avec qui je sens beaucoup de proximités esthétiques. J’écoute aussi beaucoup le Canadien Chilly Gonzales et un autre pianiste et compositeur de ma génération, le Luxembourgeois Francesco Tristano.

Parlons maintenant de cet album dont tu écris, dans l’intéressant texte du livret, qu’il « est comme un carnet intimeécrit à partir d’un vécu, de rencontres qui [t]’ont inspiré ces histoires » et que « à la manière d’un conteur, [tu] les as transformées en mélodies, en couleurs sonores« . On a effectivement l’impression d’entendre des « chansons sans paroles ». Pour un amateur de chanson actuelle comme moi, on ressent une proximité avec le dernier album d’Albin de la Simone.
J’adore cet artiste ! Mais, je ne suis pas capable d’écrire des paroles, ce n’est pas mon langage. Alors j’invente ces mélodies et les couleurs harmoniques dans lesquelles elles baignent. Les secrets qui dorment dans ces mélodies, je les partage avec le public par cette voie. D’ailleurs, c’est aussi la raison pour laquelle j’ai enregistré cet album sur « mon petit piano droit d’enfance, un Légnica venu de la Pologne communiste, bourré de défauts, mais mon vieux compagnon de route ». A tel point que j’ai imaginé tourner avec, mais les contraintes techniques sont trop lourdes et les dispositifs dans les salles de concert actuelles ne me le permettent pas. J’ai découvert Sufjan Stevens hier soir en concert au Grand Rex et j’ai adoré l’intimité dans laquelle il nous a conduit. C’était magique ! Mais on ne peut pas reproduire ces conditions n’importe où et, en toute humilité, je ne suis pas en position de le faire aujourd’hui. Mais je travaille actuellement sur une version scénique de Upriver avec lights et vidéos.  Pour le prochain album, le projet Night walk que je prépare depuis que « Upriver » est enregistré (2013), je puise mon inspiration dans les évènements du monde où nous vivons. Il y aura encore la dimension intime de mon regard, sur l’époque cette fois.

Site d’ARMEL DUPAS

musicien, passeur et acteur associatif.

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