BABETTE LARGO : CHANTEUSE INTRANQUILLE

Elle se revendique sans référence mais aime le fado, la chanteuse Lhasa De Sela, Tom Waits, Brigitte Fontaine ou Christophe et chante un monologue du poète tragique allemand Heinrich von Kleist. Babette Largo prend le large ou plutôt l’art dans toute ses dimensions. Rencontre avec une voix, une parole, en attendant son concert le 3 mai au Pannonica, invitation de la Bouche d’Air.

Photo bandeau : Babette Largo © Marielle Murcia-Rodriguez – Tu connais pas Raoul

Ton site te présente ainsi : « Singulière, atypique, elle se définit elle-même comme un croisement entre Christophe et Patti Smith ou entre Yolande Moreau et Marlène Dietrich«  et immédiatement le champ est vaste. Si je tente de le réduire, quelle place occupes-tu dans la chanson-rock francophone ?
J’aime Christophe pour sa fragilité et sa démarche de recherche mais ça n’est pas une référence musicale. Les références m’ennuient, je ne décide pas de m’inspirer d’un tel ou d’une telle. J’aime bien Catherine Ringer ou Adrienne Pauly mais je ne me sens pas de filiation avec elles. Je ne cherche pas à m’inscrire dans une esthétique car je n’ai pas d’a priori dans ma démarche. Mais l’inconscient peut parler, me reprocher d’elles et surtout, il y a là des « personnages » qui m’intéressent.

Alors, est-ce que ce sont les compositeurs auxquels tu fais appel pour mettre tes mots en musique qui décident de l’esthétique musicale de tes chansons ? Et tes filiations sont-elles plus à rechercher dans l’écriture, les poèmes de Norge, Kleist…?
Certainement, mais il y a aussi les gens du théâtre ou quelqu’un comme Brigitte Fontaine pour sa liberté de ton. Souvent les comédiennes (ce que je suis aussi) qui chantent se sont pas convaincantes et ne font que des « coups » sans lendemain. Moi, j’ai pas choisi d’être chanteuse. Bien des gens ont façonné mes goûts et j’emprunte à tous les champs artistiques. Je suis auteure mais j’emprunte les mots de Norge si ce qu’il écrit dit ce que je pense à ce moment là. Pourtant, ça fait chier la poésie mise en musique. Un poème est fait pour être dit et entendu, pas nécessairement chanté. Mais le monologue de Penthésilée de Kleist me colle à la peau. Il y a une belle manière de porter un texte en musique. Bashung le fait magnifiquement et Babx a merveilleusement réussi la mise en musique de poètes dans son dernier album. Et puis, j’aime l’univers et le geste de Tom Waits.

 

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Babette Largo  © DR

 

Peut-on dire que tu te situes dans une zone intermédiaire entre poésie et chanson en choisissant ce support accessible et populaire, en établissant des ponts entre populaire et savant ?
Oui, je fais ça pour les gens. Il faut être généreux. On doit quelque chose aux gens qui viennent nous écouter. J’ai mis longtemps à trouver le moyen d’embarquer les gens dans une traversée de choses parfois difficiles. Il fallait le faire humblement, sincèrement (je pense à Nicolas Jules, un ami, qui donne sans narcissisme derrière son verni hâbleur). J’ai vécu des concerts de Lhasa qui m’ont donné l’envie de chanter, de chanter avec cette sincérité. Je ne me prends pas au sérieux. Ce qui est important, c’est « l’espace commun », le partage qu’implique pour moi le spectacle vivant.

L’interprète est-il pour toi cet intermédiaire, ce truchement [i] que tu deviens pour porter tes textes et ceux des autres ?
Oui, absolument. Il y a mes mots mais aussi ceux des autres et je les sers. Je suis humble et assume ma manière sans l’imposer et sans tricher. Il y a tant de formatages. J’aspire à la justesse. Et le moment est toujours unique, concert après concert.

Que dis-tu de la situation des femmes dans l’art en général et dans la chanson en particulier ? Est-ce une préoccupation d’être « une femme qui chante », comme se présentait Barbara ?
Non, mais j’ai constaté que ce n’était pas simple parfois. C’est confus mais je ressens depuis longtemps que les critiques ne portent pas sur les mêmes questions suivant le genre. Le physique semble plus important pour nous. Je me suis fait la réflexion parfois « on ne dit pas des choses comme ça à propos des hommes ». Il faudrait être élégante, féminine ou bien monstrueuse. Il n’y a pas beaucoup de place entre les deux. On se fourvoie, on s’enfonce même, quand on cherche à plaire. J’ai détesté mes premiers concerts. Mais c’est derrière moi et, quoi qu’il arrive, je suis moi. Je ne suis sensible ni aux dégueulasseries, ni aux flatteries. Je ne cherche pas à porter une « parole de femme », mais je suis une femme et je ne peux pas l’oublier. L’important c’est d’être juste avec soi-même. Un coach avec lequel je travaillais au Chantier des Francos, Philippe Albaret, m’a dit « Sur scène, il faut se débarrasser de l’idée d’être jugée. Il faut être là pour être soi ».

 

Guinguette
Babette Largo  ©Marielle Murcia-Rodriguez – Tu connais pas Raoul

 

Est-ce la première fois que tu joues ce répertoire repris dans ton album « La mélodie des choses » ?
Oui et non. Nous l’avons joué il y a un moment au Pôle Sud de Rennes. Mais j’aime me mettre en danger et suivre l’inspiration du moment. Il y a des rendez-vous et de l’inattendu. Il faut des accidents ! Je n’aime pas être figée et c’est ça qui m’a souvent ennuyée au théâtre dont je viens et où j’ai aussi appris une forme de rigueur utile. Je déroute parfois les musiciens qui m’accompagnent, mais je ne les mets pas en danger.

Où en es-tu maintenant ?
Je sors l’album « La mélodie des choses » au Pannonica le mardi 3 mai. Je l’ai produit grâce à un financement participatif et enregistré aux Carmes à La Rochefoucault (Charente) et chez François Athimon, le guitariste, qui a fait la majeure partie du mixage. L’ensemble a été supervisé par Matthieu Ballet qui a aussi fait le mastering. Pour la scène, je repars à zéro après l’abandon, il y a trois ans, du projet Largo. J’ai reçu le soutien d’André Hisse de la Bouche d’air et cette date au Pannonica est aussi le retour vers les réseaux professionnels, le Chainon en particulier.

 

[i] Ce qui fait comprendre, permet de traduire la pensée, les sentiments. Nom donné aux masques qui portaient la paroles des dieux dans la Grèce antique.

 

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musicien, passeur et acteur associatif.

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