Nous sommes prévenus à l’entrée : un long poème nous attend, et c’est un poème fleuve dans lequel baigne le crocodile qui nous est servi. Un poème puissant, écorcheur, déchiqueteur, qui vous dépèce les mots comme une bouche de crocodile. Avec Nina Kibuanda le slameur, les jazzmen adoptent la technique du mimétisme, accompagnant les humeurs du faiseur de mots qui se louvoie dans le marigot de notre langue comme un caïman dans les eaux saumâtres du fleuve, tantôt calme, les mots juste posés sur le bord des lèvres, tantôt bouillonnant et gesticulant quand les mots deviennent déluge. Rémy Fanchin aux claviers, Steven Goron à la batterie et Ronan Prual à la basse, ne sont pas de trop pour faire écho, grâce à un jazz musclé, tonique dans les envols et les coups de gueule ou sachant effleurer seulement la surface de l’eau du bout des notes du piano aqueux, pour mieux bondir quand la bête se déchaîne. Et au milieu de ces cyclothymiques, il faut la voix de Marguerite Lorenzi, aérienne, parfois en flottaison, parfois sussurée mais toujours assurée, pour apaiser Nina l’écorché. Cette alchimie nous maintient en tension permanente, la réactivité voire l’anticipation des basses-batteries sur le slameur amplifient cette sensation d’attente. Et quand soudain les deux voix deviennent instruments, dans « Le Hurlement », c’est un déferlement dans votre appartement de notes et de mots qui s’entrechoquent. Ce premier CD six titres de Bouche de Crocodile se terminera joyeusement dans « Le Rire », comme un exutoire, après nous avoir baladés des rires aux larmes ( de crocodile?)…
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Bouche de crocodile, Sound Action 2015
Photo bandeau Bouche de crocodile © DR