Nous traitions en mai dernier de la thématique de la programmation. Cette fois-ci, place aux cafés-concerts, nouvelle focale, point de situation via 5 chapitres, à raison d’un par jour.
Ces cafés-concerts sont les héritiers des « cafés chantants » apparus à Paris dès la deuxième moitié du XIXème siècle. Ils ont permis le développement des musiques alternatives et notamment du rock dans les années 80. Mais les cafés-concerts, aussi précieux pour les artistes que pour le public, doivent composer avec une réglementation contraignante, une fragilité économique et une évolution sociétale pas franchement favorables. Cette semaine, Tohu Bohu vous embarque donc dans les arrière-salles des caf’conc. N’oubliez pas de mettre une petite pièce dans le chapeau.
Tout le monde connaît son festival qui transforme chaque année, dans toute la France, des centaines de cafés en autant de scènes musicales. Mais le collectif Culture Bar-Bars, né à Nantes, travaille aussi au quotidien, en tant que fédération nationale des cafés-cultures. Rencontre avec Denis Talledec, son directeur.
Photo bandeau Fonky Nyko au Mo Jo (Nantes) – © RBKA
Pouvez-vous commencer par présenter le collectif Culture Bar-Bars ?
Il y a une quinzaine d’années, le collectif a été créé à Nantes autour d’une dizaine de cafés-concerts qui se sont réunis pour le festival Culture Bar-Bars. Très vite, ils ont identifié les mêmes problèmes : la réglementation, la réalité économique… Mais aussi une méconnaissance de leurs lieux au sein de la filière, avec un pied dans la culture et un autre dans l’hôtellerie-restauration. Avec le temps, le collectif s’est retrouvé à assumer une représentation nationale. Et la structure s’est professionnalisée. Nous sommes cinq salariés permanents qui travaillons sur deux axes : le festival annuel et la fédération. Aujourd’hui, 400 lieux sont fédérés, en France métropolitaine et en outre-mer.
Comment est financé le collectif ?
On est sur trois sources de financement, à peu près équivalentes : le financement propre (cotisation des adhérents et merchandising), le financement public et les partenariats privés.
On a l’impression que les caf’conc ferment les uns après les autres. Il existe des chiffres là-dessus ?
Non, pour la simple raison que la catégorie café-concert n’existe pas officiellement. Les chiffres dont on dispose sont ceux concernant les cafés de moins de 200 places. Il y en a cinq qui ferment tous les jours en France. Il y en avait 500 000 après la guerre; aujourd’hui, c’est autour de 35 000. Il faut savoir qu’un tiers de ces lieux survit en dégageant un SMIC par mois.
Ça coûte cher de faire jouer un groupe ?
Je vais prendre un exemple concret : un concert d’un groupe de rock classique, avec 4 musiciens sur scène. Déclarés au minimum syndical, ils coûtent environ 150 € chacun. On rajoute un peu de SACEM, un peu de com’, un peu de défraiement, un peu de location de son le cas échéant… Et on est vite rendu à 1000 €. C’est donc excessivement dur de rentrer dans ses frais, surtout pour les petits lieux.
C’est pour cela que les artistes ne sont pas toujours déclarés ?
On est sur une ambiguïté qui s’est développée depuis longtemps. Grosso modo, la filière fonctionne essentiellement sur du contrat de cession et non du contrat d’engagement. Cela signifie qu’on passe par une tierce structure qui vend le spectacle. Pendant des années, les groupes ont été poussés à monter des assos pour pouvoir faire du contrat de cession derrière. Alors, on a souvent pointé du doigt les caf’conc en disant « c’est du black »…
Glamglitters – Le Tapa Zinc (Nantes) – © RBKA
Quel est le principe du fonds d’aide à l’emploi artistique, testé localement pendant deux ans, et aujourd’hui étendu au niveau national ?
Lorsqu’on a monté le fonds d’aide à l’emploi artistique, on constatait à l’époque en Pays de Loire 30 % de musiciens qui sortaient de l’intermittence, un nombre croissant de caf’conc historiques qui fermaient et une demande importante des artistes pour trouver des scènes. L’idée a été d’intervenir avec une aide à l’emploi et non aux lieux. Il fallait recomposer une économie à la fois respectueuse des artistes professionnels et réaliste par rapport à l’économie réelle. On a donc inventé un système qui intervient à hauteur du nombre d’artistes sur scène. Pour reprendre l’exemple du groupe à 4 musiciens, on arrive à 300 € de prise en charge. Le remboursement arrive une fois que les cotisations sociales ont été payées au Guso (l’organisme qui gère les démarches administratives pour l’emploi des artistes et des techniciens du spectacle vivant). Cela ne fonctionne que pour du contrat d’engagement. Le lieu assume sa fonction d’employeur, paye les artistes et est aidé en fonction de ce qu’il produit. Il ne s’agit donc pas d’une subvention – j’insiste là-dessus, mais d’une aide a posteriori.
Tous les cafés qui programment des concerts sont éligibles ?
Oui. Tous les cafés de moins de 200 places qui organisent un concert peuvent en bénéficier. Du café du village qui organise un concert dans l’année au café cultures qui en fait 100 par an. On ne voulait se couper d’aucun public.
Mais l’enveloppe ne doit pas être inépuisable…
Il s’agit d’une enveloppe trimestrialisée. C’est très simple : quand l’enveloppe est épuisée, eh bien elle est épuisée !
Qui met des sous dans l’enveloppe ?
Elle est financée sur deux sources : privée et publique. Ce sont des fonds territorialisés. Le dispositif a été testé pendant deux ans dans les Pays de Loire et va maintenant être étendu dans les autres territoires en France.
Un mot sur la licence d’entrepreneur du spectacle. À quoi donne-t-elle droit ?
Elle est obligatoire pour les lieux qui proposent plus de 6 spectacles par an. Les lieux doivent effectuer la demande. Le problème était qu’il y avait une formation de 5 jours à suivre, ce qui pouvait être compliqué pour des petites structures où le patron doit se faire remplacer. Elle va être réduite à deux jours et demis.
Mais il existe un paquet de lieux qui font plus de six spectacles par an et qui n’ont pas la licence…
C’est vrai…
Autre décalage entre la loi et la réalité : à Nantes, les bars sont censés respecter un volume maximum de 70 dB. C’est complètement irréaliste…
Il y a deux sources de droit en la matière. Une source de santé publique, liée au décret de 1998 sur la production de concerts de musiques amplifiées. Elle pose comme limite 105 dB. Cela s’applique aux cafés comme aux salles de spectacles. On va d’ailleurs vers une baisse de cette limite. La deuxième source de droit est liée à l’ordre public, avec la notion de tapage nocturne. Il n’y a pas de seuil, c’est au jugé. 70 % des cas qui nous reviennent sont liés à cette notion de tapage nocturne. Le cas nantais est spécifique, avec un arrêté municipal qui se base sur un arrêté préfectoral. Il ne porte d’ailleurs pas sur les concerts, mais plus largement sur la diffusion de musiques amplifiées en tant que fond sonore dans un établissement. Et oui, c’est inapplicable : il faut savoir que les aspirateurs les moins bruyants sont à 75 dB ! On est dans une ère hygiéniste, avec des normes de plus en plus drastiques. Soyons clair : on n’est pas irresponsables, personne ne veut construire des générations de sourds. Mais c’est à se demander s’il pourra y avoir des batteries à l’avenir. Et le danger le plus important est la durée d’écoute. Quand on voit des gens qui vivent avec des casques en permanence sur les oreilles, on peut se demander où sont les priorités.
Qu’est-ce qui se passe d’une manière pratique quand un bar commence à avoir des soucis ?
Il y a un constat effectué par la brigade de contrôle nocturne ou tout officier assermenté. Ensuite, il y a une instance nantaise, la commission des débits de boissons, qui va étudier et émettre un avis. Cette commission est composée de gens de la ville et des organisations professionnelles. Il existe une graduation : rappel à la loi, avertissement, jusqu’à la fermeture administrative. Je salue cette commission. Pourquoi ? Prenons l’exemple de Paris. Il n’y a pas de commission, c’est la préfecture de police qui décide de manière unilatérale. À Nantes, la commission a le mérite de travailler en transparence et de permettre aux cafés d’être représentés par les organisations professionnelles. Cela permet, la plupart du temps, d’éviter d’aller au tribunal, à l’inverse de ce qui s’est passé pour le Rockengrain, par exemple. Au vu de la loi, les cafés ont intérêt à éviter le tribunal. Ils seront perdants dans 90 % des cas.
Tout le monde n’a pourtant pas une vision aussi positive de cette commission… Pour certains, la ville de Nantes tient un double discours consistant à se gargariser de l’activité culturelle tout en mettant des bâtons dans les roues des lieux qui diffusent.
Je ne fais pas d’angélisme. Mais j’ai un regard au niveau national qui me permet de comparer avec les autres villes. Et il y a bien pire qu’à Nantes.
Toujours au rayon qui fâche, à l’instar de la Fête de la Musique, le festival Bar-Bars est parfois décrit comme un défouloir qui permet d’exiger le calme le reste de l’année…
On a toujours été très clairs là-dessus : le festival est un coup de projecteur sur les lieux mais ne doit en aucun cas servir d’alibi pour ne rien autoriser le reste de l’année. Le collectif est présent au quo-ti-dien auprès de ses membres, pas trois jours dans l’année. On n’a pas 90 adhérents à Nantes par hasard.
Est-ce que les tensions autour des caf’conc ne sont finalement pas symptomatiques d’une société qui se recroqueville sur elle-même ?
Je pense qu’on est dans une bascule sociétale. On veut le calme de la campagne en centre-ville – et les services du centre-ville à la campagne. Et plutôt que d’aller discuter avec le responsable du lieu, les gens appellent la police ou portent plainte directement. La vraie question aujourd’hui, c’est : comment on arrive à refaire vivre les gens ensemble ? À Bar-Bars, on prône l’action à 3 niveaux. 1. Installer des conseils de la nuit qui regroupent tous les acteurs (responsables de lieux, police, urgentistes, transports en commun, riverains…) 2. Installer des commissions comme celle des débits de boisson à Nantes, qui traitent au cas par cas et de manière collégiale. 3. Rendre obligatoires les médiations entre le riverain plaignant et le responsable du lieu en cas de problème. Cela fait partie des propositions que nous avons émises lors des Assises Nationales de la Vie Nocturne, qui se sont déroulées à Nantes en avril. Face aux évolutions de la société, il faut absolument que les acteurs de la nuit et les pouvoirs publics travaillent ensemble, si l’on veut préserver la diversité culturelle de nos territoires.