CULTURE BAR-BARS : prises de position et moments de vie

Dernier week-end de novembre, année 2016 de l’ère post-chrétienne. À Nantes, on s’apprête à célébrer la scène musicale, locale et festive dans un cadre bien défini : les bars et cafés-cultures du centre urbain. Le contexte dans lequel se produit le festival Culture Bar-Bars est clair. D’un côté, la disparition des cafés-concerts, la gentrification du centre-ville, les plaintes de voisinage et le serrage réglementaire. De l’autre, le désir émis par une communauté festive de parcourir la nuit, la défense du droit à émettre de la musique, la volonté de l’ « être-ensemble » culturel. Live report…

Toutes photos : Morgane Lesné

Le week-end, étendu de jeudi à dimanche, fut long et rempli de situations populaires (au sens littéral) diverses. Scènes de rock en live, pogos, comptoirs inaccessibles, duo de barmaids endiablé, buée systématique sur mon objectif 16-50, mix électro et machine à fumée, chanson populaire et fûts de bière qui défilent, verres qui trinquent, sourires et corps qui dansent avec  une fougue certaine…
Beaucoup de mouvements et de lieux, de gens et de concerts. Mais derrière la fête, on est face à un discours « militant » (terme utilisé régulièrement par les tenanciers et les artistes) et face à une prise de position. À travers l’adhésion au collectif et la participation au festival Bar-Bars, quels sont les actes de résistance produits par les gérants de bars, les musiciens et les usagers de cet évènement ?

sales-gossesLes Sales Gosses

Bar-bars, c’est quoi ?

Comme beaucoup de choses disposant d’une renommée importante, on ne s’interroge pas sur l’origine du collectif Bar-Bars ni sur les actions menées tout au long de l’année. C’est vrai, quoi…ça va de soi ! En tant que simple consommateur de vin occasionnel et squatteur de comptoirs de fin de semaine, on imagine Culture Bar-Bars comme étant le festival du centre-ville se déroulant fin novembre, le vin chaud et les fenêtres embuées qui vont avec. Bar-Bars est si ancré dans l’environnement nantais qu’on ne se pose pas la question… Car malgré son expansion progressive ces dernières années au sein des grandes villes du pays, l’idée est partie d’ici, à Nantes, il y a 17 ans. Une petite éternité, en somme ! Et d’autant plus dans une société où les flux de données et d’évènements s’intensifient.
Mais en 1999, une donnée apparaissait plus clairement dans les centres-villes : un durcissement de la réglementation pour les débits de boisson et les espaces culturels de proximité – qu’incarnent les bars, les cafés-cultures et les cafés-concerts. Il est devenu difficile de trouver des endroits où continuer les soirées jusqu’à 4 heures du matin. Encore plus compliqué de dénicher des concerts ou des mixs puissants dans les cafés, sans que ceux-ci ne s’exposent à des amendes, des plaintes des riverains voire des fermetures administratives provisoires – pour cause de nuisances sonores.

joujou-wiwosoJoujou au Willy Wolf

Dans ce contexte, une douzaine de bars du centre de Nantes a créé le collectif Bar-Bars et l’évènement qui allait avec : 72 heures de concerts au sein des petits lieux de diffusion de la musique. Au-delà, l’équipe accompagne les tenanciers toute l’année – aide financière à la programmation d’artistes et de musiciens, représentation face aux institutions, accompagnement lors des procédures de plaintes. L’association loi 1901 revendique le développement de la culture de proximité et le soutien aux lieux qui permettent ce développement – objet défini en 2002 : « participer à la prise de conscience collective du rôle socioculturel des petits lieux de diffusion (cafés…) au travers de manifestations fédératrices (culturelles, préventives…) » (journalofficiel.gouv.org).
Le percussionniste et le DJ Scratcheur du groupe d’électropicale les Fantastiks – faisant également partie du groupe HHH – à propos du collectif Bar-Bars. « C’est énorme ce que fait Bar-Bars tout au long de l’année, parce que ce n’est pas seulement sur un week-end… Les bars adhérents ont des aides financières à la programmation de groupes, aides qui peuvent aller jusqu’à dix cachets par an grâce au collectif, et pas seulement sur le festival. Il y a un réel soutien des bars, qui jouent le jeu de réaliser des soirées et payer les artistes correctement. » Basil participe à Bar-Bars depuis 2012 et Vincent depuis 2010. Ils se rendent compte du contexte serré de la culture actuellement, tant au niveau du manque de subventions que de la réglementation. « On s’aperçoit que les cafés et les bars ont bien plus dennuis depuis 4 ou 5 ans ». Pour autant, le moment Bar-Bars est toujours une occasion réussie de se lâcher et « d’ envoyer des grosses vibes ».
En somme, on peut voir cette « fédération nationale des cafés-cultures » comme la petite voix des personnes et groupes sociaux qui aiment le bruit et défendent le foisonnement des arts plutôt que le calme policé que promeuvent les personnes issues de l’embourgeoisement des quartiers (la gentrification est un phénomène décrit notamment par Ruth Grass sur la situation londonienne dans les années 60). Pour les artistes et les cafés-cultures, le collectif Bar-bars représente un référent militant tout au long de l’année.

fantastiks-crew-deliriumFantastiks Crew au Delirium

Tournées de comptoirs et être-ensemble

Les tenanciers nantais croisés pour cette occasion sont unanimes sur le bien-fondé du collectif. Après plusieurs années d’adhésion, le week-end Bar-Bars est attendu et préparé avec soin. La programmation se réalise six mois en amont, la plupart du temps ce sont des groupes locaux à l’affiche. « Ca se fait largement par bouche à oreille », « les groupes viennent se présenter d’eux-mêmes ». Des blind-tests, des parties de palets vendéens et des expositions sont également au programme. Un mot revient régulièrement à la bouche des gérants et barmen affiliés à Bar-Bars : « lâcher-prise ». Beaucoup d’entre eux ont arrêté les programmations de groupe le reste de l’année. Pourquoi ? « Marre de prendre des amendes », « trop de soucis avec les riverains », la présence de la brigade nocturne de régulation du son s’est fait sentir ces dernières années. Dans ce contexte, le festival Bar-Bars vient rééquilibrer la balance, pour un week-end. « C’est le week-end préféré des patrons de bars, que ce soit au niveau de l’affluence et de l’ambiance ».
Du côté des usagers des bars, de ces fêtards décomplexés, le sentiment semble largement partagé également. Les sourires s’affichent, les gens s’entassent devant les petites scènes montées dans les recoins des salles. Une dame croisée au comptoir du Coup du Lapin raconte qu’elle participe à Bar-Bars depuis le début. « Avant je faisais la tournée des concerts, mais j’avais plus d’énergie à l’époque. Maintenant je rentre plus tôt. Mais, vraiment, c’est très bien ». D’autres personnes croisées devant Les Sales Gosses trouvent ça « mortel », tandis qu’une jolie brune aux cheveux courts me répond « Bar-bars, c’est sympa bébé ».
Au Coup du Lapin, deux groupes nantais jouent ce vendredi soir : Die Slip et Croche Dedans. La plupart des musiciens sont investis dans le milieu associatif du coin et les liens de travail sont alors très proches des liens d’amitié, ce qui donne à l’ambiance générale son lot de détente et de chaleur humaine. L’un d’entre eux me dit entre deux discussions animées que c’est toujours une bonne soirée, une bonne session musicale et un bon souvenir. « C’est clairement mieux que la Fête de la musique, les gens viennent réellement pour le son et la convivialité ». D’autant que jouer dans ce bar de la rue des Olivettes n’arrive qu’une fois par an. Le patron explique : « Là, ça fait trois ans qu’on est ouvert. La première année, on programmait des mixs de DJ une fois par mois, et ça créait trop de soucis avec les riverains. Maintenant, on s’en tient à Bar-Bars, force oblige… On est adhérent depuis le début ».

johnny-montreuilJohnny Montreuil aux Sales Gosses

C’est vrai que la chaleur humaine est au rendez-vous pour cette session 2016, le centre-ville est bondé et les lieux où sont programmés des concerts sont blindés – à la limite de l’agoraphobie pour certains. Le Délirium s’anime devant le crew des Fantastiks et la fosse remue de 22h à 2h du matin, Trotski Nautique fait salle comble au Café du Cinéma, et Joujou Duo balance un son hardTek-rock au Willy Wolf Society où un pogo se crée dans la bonne humeur. On se rend compte à cet instant que ces scènes sont rares en centre-ville. Bien sûr, Nantes est culturellement bien fournie – mais des pogos et des dance-floors en soirée dans les bars, ce n’est pas fréquent. L’ensemble des participants partage la sensation de lâcher-prise que permet cet évènement. Jusqu’à l’ivresse que provoque les rencontres, le son, le mouvement et l’alcool. À 2 heures, la question est de savoir où continuer la fête…
Au-delà des concerts et des mixs programmés, c’est bien la capacité des cafés-cultures à produire des relations sociales en direct, de l’ « être-ensemble ». Les personnes se frôlent, discutent sans se connaître, partagent des moments, des lieux et des sensations. Lorsqu’on sait que 200 000 bars parsemaient le territoire français dans les années 1960 et qu’il n’en reste que 35 000, on se dit que les liens sociaux de proximité deviennent peut-être aussi rares que les concerts de hard rock en ville les jeudis soirs.

trotski-nautique-cafe-du-cinemaTrotski Nautique au Café du Cinéma

Au-delà de Bar-Bars

Une certaine idée de la ville apparaît avec l’évènement Bar-Bars et avec ses acolytes croisés le long des comptoirs et sur les trottoirs de cafés. Une partie des citadins aiment que les rues soient animées jusque tard dans la nuit, pendant que l’intérieur des cafés, des bistrots et des bars diffuse du son. À Nantes, la programmation de Bar-Bars est majoritairement rock et électro, avec une pointe de hip hop et de chanson populaire. Ce qui correspond à l’identité culturelle musicale occidentale de la métropole depuis une vingtaine d’années. L’âge des participants fluctue de 17 à 55 ans, mais la majorité se situe dans la trentaine.
Intramuros, il y a eu plus de 300 concerts au menu du jeudi au dimanche, au sein de 84 cafés-cultures et bars. Les terrasses du quartier Bouffay étaient noires de monde malgré le froid. À l’intérieur, vers minuit les scènes se sont vidées de leurs musiciens laissant place au brouhaha de la clientèle, éméchée certes mais vivante. Au-delà de l’aspect festif ressemblant à une chouille gargantuesque et du défoulement des moeurs qui en est le corollaire, le festival Culture Bar-Bars symbolise aussi et surtout le désir d’investir la cité, d’y vivre plus que d’y travailler et d’y dormir. « Le comptoir d’un café est le parlement du peuple » disait Honoré de Balzac, il y a de ça plus de cent cinquante ans.

rue-de-crucyRue de Crucy

Les espaces de la ville ont été souvent le fait de changement au cours des derniers siècles, et les dernières décennies ont vu s’accentuer le phénomène de concentration des activités économiques capitalistes. Les vies de quartiers ont été submergées par la vague des grandes enseignes luxueuses (fringues, produits de beauté, chaussures, coiffures, assurances, banques, agences immobilières). Et ont disparu les enseignes de premières nécessités qui étaient aussi des lieux de rencontres, reléguées aux périphéries dans les grandes surfaces. Contrairement aux maraîchers, bouchers, charcutiers, fromagers, et droguistes en tous genres, les bars sont encore présents dans les centres-villes.
Le festival Culture Bar-Bars promeut et amplifie la culture musicale – comme le dit Ben de Tchernobilly Boogie « Bar-Bars sert aussi de tremplin aux jeunes groupes, il y a une multiplication des scènes potentielles et ça prend de l’ampleur d’années en années. Cest aussi un moyen pour relier les cafés-cultures entre eux, les groupes savent où ils tombent quant ils jouent dans un bar adhérent. (…) Malgré le fait que les citadins se plaignent, on n a pas trop de mal à trouver des dates mais il faut que les établissements soient bien insonorisés – car on joue fort ! (…) Cette année on fait deux sessions à Nantes pour Bar-Bars, dimanche au Dynamo ça s’annonce très bien car les tenanciers des autres bars peuvent venir ! ».
Offrant des moments de sociabilité, les cafés-cultures demeurent des lieux diversifiés où le partage culturel et social est mis à l’honneur, ils représentent l’un des derniers bastions du lien social direct et libre. Qu’est-ce qui en ressort au final ? De la vie au sens brut.

 

Rédactrice, amatrice de musiques électroniques et d'arts interactifs, je me passionne pour les pratiques culturelles émergentes de la société contemporaine.

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