Une petite centaine de lieux, plus de 300 concerts. Pas possible de tout voir durant les 3 jours du festival Bar-Bars à Nantes. Par contre, c’était possible de se balader de bar en bar, de choper des (bouts de chouettes) concerts et la crève, de se nourrir de (trop de) bières… Et tout simplement de sillonner un centre-ville qui vit la nuit. La preuve.
Photo bandeau rue Beauregard (Nantes) © Damien Le Berre
Jeudi
C’est le début du marathon. Appareil en bandoulière, programme des réjouissances en main, je saute du busway place Louis XVI et me dirige vers le Café du Cinéma. Pour l’instant, les rues sont calmes. Devant le bar, du monde mais ce n’est pas la grande foule non plus. Je croise quelques amis, ceux qui m’ont prédit un voyage bien scotchant en compagnie de Chicaloyoh. Je n’avais jamais vu en concert auparavant, je sais maintenant qu’ils disaient vrai. À l’aide d’un clavier et d’une guitare, la belle Alice Dourlen tisse des ambiances langoureuses et cotonneuses, savamment transpercées par le sax foufou de Tom Bodlin. Les sonorités drone trouvent un cadre parfait devant le mur en pierres. Doucement mais sûrement, la machine à transe se met en place et le café tangue en rythme. Scotchant, c’est bien le mot. Pas un hasard si, pour une fois, il n’y a personne au baby.
Chicaloyoh au Café du Cinéma © Damien Le Berre
Je me mets une auto-claque pour sortir de ce qui ressemble à un rêve éveillé. Parce qu’il est temps de rallier Madame Rêve, justement, et le concert d’Api Uiz – d’autres spécialistes ès transe, à la réputation scénique bien posée. Bon bah c’est raté. Le temps de se faufiler dans le bar bondé, et c’est le dernier morceau. Frustrant, car le peu que j’entends a l’air prometteur. (Je finirai par les voir « hors Bar-Bars' », dans une salle alternative de l’agglo, au bout de la nuit de samedi. Et c’est confirmé : le mélange de jazz, de kraut et de math des Bordelais est une sacrée machine à danser.) On boit une bière avec Julien, le guitariste de Nursery et il me raconte qu’il vient de se manger son meilleur concert depuis un moment. « Un décalage de fou entre ce que tu entends et ce que tu vois ».
Je me remets donc en route. Il y a de plus en plus de monde devant et dans les bars. Y compris au CafK, pour la deuxième moitié de la prestation d’Anti-Fiasco qui, selon son propre descriptif , « est au folk-rock ce que le spaghetti est au western ». Il y a un bien un Hill dans le groupe nantais : pas Terence mais Kevin (également membre du duo Blindfox), au pedigree 50 % anglais. Déjà une bonne assurance contre le chant yaourt. Il y a aussi une scie musicale, un cajón (percu sud-américaine), quelques montées dans les tours et une envie manifeste de casser les codes du folk. C’est réussi.
Pour proposer une solution au problème des concerts qui se déroulent partout en même temps (on y reviendra), Livresse a la bonne idée de proposer deux sets de Passion Coco. J’arrive au début du deuxième dans ce chouette café-bibliothèque – oui, parce que Livresse n’est pas qu’une incitation à la débauche éthylique, bande de pervers idolâtres, mais un jeu de mots mignon. Et c’est chaud, très chaud, très très chaud. Pour être franc, je ne mets pas de la cumbia tous les jours sur la platine. Et il a fallu faire un tour sur Wikipédia pour apprendre que c’est « un genre musical et une danse nés au XVIIe siècle en Colombie ». Mais il faut reconnaître que ces quatre-là fileraient la banane à un thanatopracteur dépressif. Un vent de couleurs, de rythmes et tout simplement un plaisir visible de jouer renversent le café, et accessoirement ma bière. Pas grave, c’est le jeu.
Passion Coco à Livresse © Damien Le Berre
Je remonte le Cours des 50, traverse Commerce et arrive Chaussée de la Madeleine, au Monsoleil. J’ai beau habiter tout près, je crois bien n’y avoir jamais mis les pieds. C’est aussi ça qui est bien avec Bar-Bars : l’occasion de découvrir des nouveaux cafés sympas. Parce que la patronne, qui a dû remarquer à mon air paumé que je ne connaissais personne dans son rade, est sympa. Alors, une fois la tireuse réparée grâce à une frontale sortie d’on ne sait trop où, elle me paie une bière. Et comme un miracle n’arrive jamais seul, le groupe qui jouait jusque-là une sorte de sous-Arno cède sa place aux Cowboy Sixters, pour qui j’étais venu. Un classique quatuor basse-guitare-batterie-chant qui donne dans le non moins classique folk-country-rock, avec de bonnes petites décharges limite noise. Pas follement original, mais efficace et bien fait. Les gars ont de la bouteille et connaissent leur Johnny Cash, Violent Femmes et Pogues sur le bout des doigts.
Cowboy Sixters au Monsoleil © Damien Le Berre
Vendredi
J’avais dit que j’allais y revenir, c’est maintenant. Quand est-ce que quelqu’un va se pencher sur le problème de la simultanéité des concerts du même style musical pendant Bar-Bars ? D’accord, on ne peut pas tout voir. Et puis que du reggae passe en même temps que du trash metal n’est pas gênant, a priori ça n’intéresse pas les mêmes personnes. Mais ce vendredi, j’ai bien dû entendre une dizaine de fois : « c’est naze qu’Api Uiz, Nursery et Classe Mannequin soient programmés à la même heure ». Du côté des cafetiers, on se justifie : « à 19 h, il n’y a personne. Et si ça joue trop tard, il y a les voisins qui se plaignent ». Alors, résolution pour 2016 : que les mélomanes écourtent l’apéro à la maison et que les riverains du centre-ville soient aussi tolérants avec la musique qu’avec « la douce melodie des rails du tram et les harmonies des moteurs de mobylettes à sushis », pour citer un post poético-pertinent aperçu sur facebook.
Bref, n’étant pas doté du fameux don d’ubiquité chanté par Françoiz Breut, je me décide pour le concert de Classe Mannequin. Pas par goût de la découverte – j’ai dû les voir à peu près le même nombre de fois que Michel Sardou est passé à Vivement Dimanche – mais parce que le groupe me procure autant d’émois musicaux que la série m’a procuré d’émois, disons, sentimentaux quand j’étais ado. Des guitares qui tranchent comme Pascal le grand frère au milieu d’un différend familial, un batteur branché sur quelque chose de plus costaud que du 220 V, un bassiste flegmatique en mode slacker et un chant qui fait des cabrioles dignes d’une gymnaste soviétique : Classe Mannequin assaisonne sa power pop cinglante d’une légère touche math expé tout sauf chiante. Comme d’habitude ça dodeline bé(a)tement de la tête dans le public – fourni, qui sera ravi de la sortie du premier album au début de l’année prochaine.
Classe Mannequin au Café du Cinéma © Damien Le Berre
Je crois avoir déjà évoqué le problème des concerts simultanés, non ? C’est donc au pas de course que je file à Madame Rêve pour essayer d’attraper un bout du set de Nursery. Je m’en sors à peine mieux que la veille, puisque je rentre dans le bar en fusion pour les trois derniers morceaux (mais il y a un live report en entier ici). Dont une reprise à l’acide du tube Venus des Hollandais Shocking Blue, pourtant pas complètement assumée par le chanteur-batteur (« c’est pas un peu limite? »). Non, non, c’est très bien, comme tout ce que fait Nursery. Qui restera ma grosse torgnole rock nantais de l’année, façon Pixies / Wire tombés en 2015 sur un défibrillateur. Je ne suis visiblement pas le seul, comme me le confie un vieux rockeur croisé à l’endroit où nous nous délestons de nos bières (respectives): « c’est vraiment ce que j’ai entendu de plus bandant depuis longtemps ! ». Oui monsieur ! La preuve avec là-aussi un « vrai » premier album – après de l’autoprod à l’arrache mais déjà explosive – annoncé pour début 2016.
Nursery chez Madame Rêve © Damien Le Berre
Parcours similaire à la veille puisque je prends ensuite la route du CafK (non cher lecteur, je ne suis pas routinier, juste à l’affût des groupes les plus sexy après consultation consciencieuse de la prog), pour un bout de The Magic Bubblebox. L’heure avançant, ça devient carrément compliqué de pénétrer dans le bar. Et à l’intérieur ça discute fort, sans forcément prêter grande attention à ce qui sort des amplis. Pas de photos non plus, puisque l’éclairage est à peu près aussi lumineux qu’un match du FCN. Dommage, ce psyché-rock-garage avait l’air plutôt sympathique et non dicté par la mode du moment. (Sérieusement, on n’a rien contre, bien au contraire… Mais il y a des subs depuis 2 ans pour monter un groupe dans ce style?)
Samedi
Troisième jour, ça commence à piquer un peu mais on rebranche la machine, direction la rue de l’Hôtel de Ville et le concert de Dunkerque à Livresse. Moins de monde que le jeudi, mais un public attentif devant la chanteuse qui emmène le trio nantais. Parce que, contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, Dunkerque n’est pas originaire du pays de la Jenlain mais bien de celui du muscadet. À peine plus d’un an d’existence pour Dunkerque et déjà un passage à Stereolux à qui, soit dit au passage, on peut reprocher certaines choses mais pas, comme on l’entend parfois, d’ignorer les groupes locaux – un tiers des concerts quand même. Avec ses textes le plus souvent en français (pas le plus facile), une guitare, un clavier et une basse qui se trouvent bien, Dunkerque délivre une pop légère, aux influences anglaises marquées. Ça se mange sans faim mais il manque peut-être un peu de folie là-dedans pour qu’on décolle vraiment.
Dunkerque à Livresse © Damien Le Berre
La folie, on va la trouver un peu plus loin, dans un Cabanon plein comme un œuf. Moment Confessions Intimes : depuis Amsterdam de Brel, et surtout la reprise belle à pleurer de Scott Walker, j’ai un petit faible coupable pour les chants de marins. Ça tombe bien, c’est justement le fonds de commerce de Croche Dedans. Une guitare, un accordéon, un banjo et un chanteur qui alternent chants traditionnels (en français, en anglais, en catalan) et compos perso. Je vous entends d’ici, ça doit être ringard comme il faut. Bah non. Déjà, ça joue bien. Et le quatuor, qui a bourlingué depuis six ans dans les grandes largeurs (jusqu’en Nouvelle-Zélande), prend un pied assez communicatif. Enfants, jeunes, vieux, tout le monde se retrouve téléporté dans une taverne de Belle-Île. Manque juste les embruns.
Croche dedans au Cabanon © Damien Le Berre
C’est avec un petit pincement au cœur que je me fraye un passage dans la rue Saint-Léonard qui dégueule de monde (au propre comme au figuré), pour retourner à Livresse. Celui-là, je l’avais entouré en premier dans le programme, parce que c’est le dernier. Le dernier concert de Tiny Scalp, qui raccroche les amplis après cinq ans au service d’un folk-country-rock lumineux et sauvage. Pas des stakhanovistes de studio les six Nantais, – ils ne laissent que deux EP’s – mais une tripotée de concerts enflammés et un chanteur pour qui le mot charismatique semble avoir été inventé. Le bar est bondé, il doit y avoir cinq personnes au mètre carré, pas moyen de bouger. (Et d’ailleurs, en toute amitié, message au relou qui me reprochait d’envahir son espace vital : il y a la Cité des Congrès si tu veux voir des concerts assis peinard.) Ceux qui découvrent sur le tard se prennent une petite claque, les fans de longue date ont limite la larme à l’oeil et réclament en rappel le mythique Everybody’s Gotta Live d’Arthur Lee. Comme le groupe ne le joue plus depuis un moment, un rapide tour sur internet est nécessaire pour checker les paroles. Et c’est parti pour une ultime reprise incandescente qui finit de faire chavirer le public. Allez Tiny Scalp, c’est pas vraiment fini, c’était juste une mauvaise blague, hein ?
Tiny Scalp à Livresse © Rozzo Corleone
C’est le foie lourd, les oreilles fatiguées et le porte-monnaie léger que je finis ces trois jours de Bar-Bars. Le bilan ? Du monde et une ambiance de fête « normale », à l’exception de quelques petites choses : une terrasse qui sursaute un peu trop fort à l’explosion d’un pétard, des regards vaguement inquiets quand trois voitures de police s’enfilent, sirènes hurlantes, le Cours des 50… Mais surtout des cafés qui programment dans tous les sens, comme on rêverait que ce soit le cas pendant toute l’année. Parce qu’y a pas à dire, c’est quand même beau les concerts dans les bars.
Le festival en images…