Entendez-nous bien : votre femme – objet d’étude : muse, modèle ou maîtresse, je lui ris au nez !
Et la barbe aussi !
Non pas que je sois agacé au point de tout vouloir envoyer balader, mais c’est ainsi que j’admoneste avec douceur le garçon coiffeur du salon où je laisse filer le temps.
Quelques pontes des Musiques Actuelles – ô délicieux jargon institutionnel – se réunissent aujourd’hui dans cette ville de gauche moyenne et, partis qu’ils sont en pause déjeuner étendue – et exceptionnelle bien sûr – la salle amplifiée que je devais visiter ne m’est pas accessible. Ma petite étude esthético-acoustique va devoir attendre un brin le retour de ces messieurs.
Car de femmes point, dans ce métier, ou très rarement à des postes clés. La pluralité et la parité dans la culture ça fait joli dans les discours, mais c’est un peu court dans les faits. Et vas-y qu’on se tire la nouille entre couillus à grand renfort de soli de guitare virils et d’efficacité scénique marketé, qu’on prodiguera ensuite comme conseils à de jeunes groupes motivés et influençables. Pas vraiment un monde de bisous celui des Smac.
Allons, allons, pas d’aigreur ! Tourne ton esprit vers le positif et tes pas vers cette boutique capillaire.
Le Grand’ Hair. Comme c’est malin…
Il y a une étude à faire sur l’habitude du nom à jeux de mots dans le commerce du cheveu, une étude linguistique. Le salon n’est pas bien grand, quant à l’air, il semble assez loin de cette ville encaissée. Nous ne sommes pas exactement au bord de mer. Il crachine, comme souvent. La place carrée luit, l’empereur de bronze à cheval dégouline, ça plicploque tranquillement et pour longtemps il semblerait. (Entre 10 et 20 dB)
Au chaud, dans l’échoppe, je me laisse choyer. Shampoing, massage du cuir chevelu – hmmm.
On coupe ? On rafraîchit ? On dégage les oreilles ? Oui oui tout ça un peu, la même chose en un peu plus court. Le moment n’est pas venu pour les décisions radicales. Ma calvitie avance tranquillement, rien d’alarmant, pas encore de tonsure qui me ferait ressembler à (comme disait Professeur Choron) un con de moine et qui nécessiterait un bon rasage complet, la tête pieds nus façon « j’ai perdu contre les indiens »!
J’aime vraiment beaucoup cette obligation statique du fauteuil, cet abandon nécessaire de ma tête aux doigtés experts, ce moment de vacance dont l’oisiveté profite – pas de lecture merci, surtout pas les magazines du moment – laissons juste l’esprit faire l’escalier à son rythme.
Il a de grosses mains le Dave Gahan du salon et il me tord un peu fort les oreilles quand il passe les ciseaux, j’ai l’impression d’être puni et ça n’est pas désagréable, bizarrement.
Il cisèle, coupe, désépaissit, effile, rase, épointe, sèche, souffle, change d’instrument régulièrement ce qui confère à l’ensemble l’apparence sonore d’une mini-symphonie métallique jouée fragmentée par un one-man band.
Rémy Bricka joue Metal Machine Music (40 à 60 dB selon les mouvements).
Du miel pour mes oreilles à présent dégagées. Mais ce serait oublier l’indéboulonnable radio de fond sonore – la très peu inspirée radio Meuh, ce webersatz d’une Nova déjà en fin de parcours, qui fait passer des playlists insipides pour des lanternes musicales. Et vas-y que je te tchackpoume, que je te groove, que je te triphope et que je airainebise à qui mieux mieux. Une partie carrée chic et molle. J’essaie d’en faire abstraction mais comme le voyeur ne peut s’empêcher un coup d’œil, mon oreille cherche à reconnaître les morceaux. Quelle serait la bande son idéale d’un salon de coiffure ? Cheveu ? Galt McDermot (Hair) ? Rossini (Il Barbiere di Siviglia) ? Ou tout simplement la musique traditionnelle libanaise qui fait se déhancher un Jean Rochefort amoureux ?
Dans le recueil Notes Marginales et Bénéfices du Doute, Jonathan Coe a de très belles phrases sur la musique inutile et envahissante qui rythme nos vies, que partout l’on subit et qui va jusqu’à surligner nos émotions quotidiennes.
La parenthèse s’achève d’un coup de blaireau expert qui sème tel Larousse les poils et cheveux accrochés à mon cou. Un autre Rain Man que moi compterait probablement chaque élément de cette pluie pilaire et les organiserait logiquement, blanc/noir façon clavier bien tempéré.
Déjà je rends mon tablier, bientôt je paie, j’abrège, je fouille mes poches, je sais c’est moche mais je crois que je vais les planter là les fonctionnaires de la musique actuelle.
Vive l’inactualité de la musique!
Dehors il pleut.
Où sont les arbres?
C’est par où la mer?
