La Compagnie Grosse Théâtre emmenée par Hervé Guilloteau présente au Théâtre Universitaire une adaptation du « Neveu de Rameau » de Diderot dès ce soir, et ce jusqu’au 16 octobre. Une fois n’est pas coutume, Hervé Guilloteau en grand fan de musique qu’il est, intègre de la musique à sa perception et son « donner à voir « théâtral. Federico Pellegrini musicien est appelé à composer et jouer, exercice avec lequel il semble désormais très à l’aise. son approche l’a conduit à considérer le texte avant tout. Rencontre avec les deux hommes.
Photo bandeau : Hervé Guilloteau / Federico Pellegrini – Grosse Theatre © Jean Depagne
Qu’est ce que la musique résume de la pièce ?
H : Heu… en tous cas pas Jean-Philippe Rameau. Elle résume parfaitement pourquoi on choisit de travailler ensemble avec Federico. Elle résume un état d’esprit. C’est le texte qui nous rejoint, le projet, des fidélités, et puis ce lien musique/théâtre qui est inhérent au travail.
F : Contrairement aux pièces précédentes, le postulat de départ était de ne rien composer en amont. J’ai davantage écouté ce que l’on enlevait du texte original, j’ai participé à toutes les répétitions ne me disant que j’apporterai ce qui manquera, au fur et à mesure de l’avancée du texte. J’ai participé à l’adaptation, au découpage, j’ai apporté des choses quand il y avait besoin.
H : La pièce est normalement écrite pour deux personnages. Moi, je la propose avec cinq personnages au plateau, la présence de Federico est du même ordre que celle des quatre autres. Au tout début de la pièce, j’arrive chez eux, et rien ne définit que Federico est musicien. C’est comme cela que l’on a construit le spectacle.
Tu es plus comédien que musicien ?
F : Non pas à ce point, je fais quand même plutôt de la musique. L’idée était bien de faire partie du truc, mais sans rien préparer au préalable. J’ai un peu de texte mais un petit peu.
On trouve sur wikipedia au sujet du Nevue de Rameau « … le thème de la morale — thème important dans l’œuvre de Diderot. Il est approché par différents biais, comme l’éducation, la place de l’homme de génie dans la société, la musique… ». Ca évoque quoi pour toi Hervé ce biais de la musique?
H : En fait, dans le texte original, le neveu que l’on prend pour un fou est un connaisseur de musique, il est même frustré de ne pas être son oncle compositeur, et il l’évoque en faisant des pantomimes, en imitant le violon, un chef d’orchestre. Il est traversé par toute une musique qu’il aimerait écrire. Nous on a traité çà différemment. C’est un passage que lit Federico en l’occurrence, un didascali.
Federico Pellegrini / Hervé Guilloteau – Grosse Theatre © DR
Est-ce que justement le fait que l’oncle soit compositeur vous a poussé à intégrer beaucoup de musique ?
F : Non, il n’y en a pas tant que çà. Le texte a besoin d’une certaine concentration, il a besoin d’être écouté, il est rare qu’on monte les volumes sonores. C’est plutôt en arrière plan comme au cinéma. Le texte n’est pas facile à comprendre, il demande de l’attention. Alors, il faut tenir compte de çà. Moi même sur la scène, j’ai besoin d’entendre le texte.
H : Cela revient à ce qui est dit dans la pièce, notre travail consiste à ce que tout soit musique en fait. La musique de Federico comme le son de Guillaume depuis la régie ne doivent pas être isolés du reste. Ca propose un spectacle par vagues, il y a des pics dans le jeu, et aussi dans la musique.
Quels sont les partis pris musicaux ? Tu vas dans divers univers ?
F : On s’est dit durant toute la première partie qui se passe dans un lieu particulier je n’avais pas la guitare. Et sur la 2è partie, je n’avais que la guitare. Mais sinon, on « ping-pong » beaucoup tous les deux avec Guillaume. Je déteste voir dans une pièce une musique collée sur le propos. On ne fait pas çà et c’est tant mieux. On réussit à faire en sorte que jouer de la musique c’est comme dire une réplique ou bouger d’un endroit à l’autre sur le plateau. Cela ne fait pas collage. Plus que jamais, dans cette pièce, les choses arrivent par l’intérieur, elles naissent de l’intérieur et elles meurent à l’intérieur aussi.
Pour revenir aux ping-pongs, comment cela se passe-t-il ?
G : Federico travaille avec son matériel sur scène, moi je rajoute parfois des choses. Le ping pong est possible parce que Federico s’intéresse d’abord au texte avant de penser musique. Je pense qu’à vouloir trop structurer des morceaux très écrits sur une scène de théâtre, on se plante.
H : Pour compléter, je dirai que Federico alors qu’il est au service ne fera pas un truc qu’il n’aime pas. C’est aussi le fait que nous soyons devenus amis, on a plusieurs expériences ensemble. Il faut s’intéresser au métier de l’autre. J’ai souvent vu des musiciens très talentueux avec des boucleurs en fond de scène faire des choses aléatoires. On tombe purement et simplement dans le piège de l’illustration. Il faut vraiment savoir pourquoi on invite un musicien à venir sur scène. Dès lors qu’on le fait, c’est une parole en soi et une affaire de dosage, car la musique au même titre qu’un texte peut dire la violence. Les deux n’ont pas à le dire en même temps, ce serait sucrer les fraises. On touche parfois au cinéma, on peut reposer une voix parce que la musique prend le relais. C’est une véritable construction.
F : J’ai plusieurs fois travaillé avec Guillaume, et il y a une méthodologie qui se met en place, on se connaît bien musicalement et techniquement.
Le Neveu de Rameau – © Grosse Theatre
En tant qu’acteur, dire un texte sur du silence ou le dire sur une musique, est-ce radicalement différent ?
H : La musique peut véritablement porter, aider. Si elle n’est qu’une solution technique, çà ne va pas. Si la musique n’est qu’une forme, si la mise en scène n’est qu’une forme, il y a des chances que çà ne passe pas la rampe en termes d’émotion en fait.
F : De la même façon, je ne suis pas sûr de pouvoir faire de la musique pour n’importe quel metteur en scène. Pour moi, la musique est vraiment une affaire d’amitié ou de super feeling. Les choses doivent se créer dans un contexte de franchise, on se dit les choses, on ne se sent pas bridé, on ne doit pas s’ennuyer.
Est-ce qu’à l’inverse tu pourrais intégrer du théâtre dans ta musique ? Davantage en termes de texte que de mise en scène d’ailleurs.
F : Non, j’ai besoin que la musique à chaque fois qu’elle est jouée, soit différente. Donc écrire une mise en scène me gênerait.
H : Moi je n’irai pas jouer l’acteur sur un concert. Ce n’est pas le même endroit, les mêmes ressorts. La seule chose que je peux éventuellement aimer en tant que spectateur et amateur de musique, c’est quand il y a un guest dans un groupe. Mais plus de théâtralité que çà dans un concert, non, je ne peux pas. Les mises en scène appuyées sur des concerts, comme Biollay ou Arno ont pu faire, je trouve çà insensé. Si un jour un truc se faisait de manière totalement mêlée, ce quelque chose rebaptiserait le tout.
F : La musique doit être jouée sur le fil et de manière un peu accidentelle. Le truc rôdé qui marche bien me fait pitié pour les gens qui le joue. Cela dit, il y a beaucoup de comédiens qui savent chanter.
© DR
Hervé, toi qui restes parfois bloqué sur une chanson, qu’as-tu écouté ou qu’écoutes-tu de façon obsessionnelle ces temps-ci ?
H : les moments où je créé ne sont pas ceux où je suis le plus intelligent, ou le plus exigeant (rires). Alors, en ce moment j’écoute Snap « I’ve got the power » . C’est plus des choses pour me détendre. Mais globalement, j’écoute moins de musique qu’avant, parce que je squatte moins chez des gens qui ont des disques (rires). Je vais aussi moins aux concerts. Ca va faire un peu intello mais je vais beaucoup sur le site du patrimoine immatériel de l’UNESCO qui répertorie des choses en voie de disparition, des choses très lointaines. Cela me permet de voyager, de découvrir autre chose que de la « pop culture ». J’y ai découvert des bébés népalais, je ne m’en remettrai jamais. J’ai arrêté de suivre un peu tout ce qui sort, il y a trop de choses.
Tu as écouté Jean-Philippe Rameau Fédérico ?
F : Oui bien sûr. Mais je n’aime pas la musique classique, çà me fatigue très vite et je n’ai jamais envie d’en écouter. J’ai écouté « Les Indes galantes ».
H : On s’est quand même intéressés à l’époque, au contexte, on ne voulait pas complètement débiles, on s’est intéressé à la querelle des bouffons, c’est à dire la guerre qu’il y a à l’époque entre l’Italie et la France, à savoir comment les gens considérés comme des prodiges dont Jean-Philippe Rameau tout d’un coup se sentent menacés par une musique et une langue, l’italien, plus emprunte à servir les passions, à raconter des histoires plus fortement, plus populaire. C’est liée à l’histoire de la musique et à ce qui se produit à l’époque et comment la musique et le succès de Jean-Philippe Rameau sont menacés.