EUROFONIK, L’EUROPE PAR LES HOMMES ET LA MUSIQUE

Cinquante artistes européens se produiront à Nantes durant ces 10 jours de mars. Eurofonik, 5è du nom, oriente cette année la proposition artistique vers la jeune génération de musiciens, éclairant au passage plusieurs pays et cultures d’Europe. Italie, Espagne, Portugal, Irlande, Suède, Estonie, Turquie et France se croisent et composent le nuancier Eurofonik 2017, édition toujours aussi créative et bigarrée. Rencontre avec Sylvain Girault, directeur artistique du festival.

Photo bandeau : La Machine (en concert le 11/03 à Stereolux) – DR



Eurofonik, 5è du nom, qu’est-ce qui change, qu’est ce qui ne change pas ?
Le concept ne change pas ! Essayer de donner un écho, une résonance à des artistes européens (disons vivant sur le sol européen) qui créent leur musique en s’inspirant des musiques populaires de tradition orale. Quand on parle de « musiques du monde », on parle souvent de l’extra-européen, sous-entendant implicitement que l’Europe est le continent de la musique savante, civilisée et que « l’exotisme » est le terrain des musiques traditionnelles, orales. Cette vision est totalement fausse. En Europe, et en particulier dans les aires urbaines, des artistes s’emparent de ces musiques, s’en imprègnent, et les projettent ailleurs, les hybrident, les déplacent. C’est que le festival veut montrer.
Ce qui change c’est le format. Après trois éditions à la Cité des Congrès en 2012-13-14 et une édition annulée en 2015, la quatrième édition 2016 avait permis de repenser un format plus décentralisée, plus coopératif, plus éclaté, plus partenarial et plus métropolitain. La cinquième édition 2017 suit le mouvement en allant encore un peu plus loin. Un gros WE au Nouveau Pavillon de Bouguenais (n’oublions pas que le festival est le prolongement de ce qu’on fait en saison ici) les 2-3-4 mars. Puis une série de soirées à Nantes (CSC Bellevue, Cosmopolis, Château des ducs de Bretagne) et Rezé (Théâtre) pour finir avec la grande soirée du festival le 11 mars à Stereolux dans les salles Micro et Maxi. A chaque soirée, sa propre identité liée au lieu et au partenaire avec lequel on l’organise…

Tu évoques le Brexit, l’hostilité pour les migrants, tu évoques l’absence d’une prise de conscience d’une Culture Européenne ou d’une Europe Culturelle, au-delà de la conviction que porte Eurofonik et qui va dans ce sens, comment y parvenir ?
Je n’en sais rien. Peut-être en valorisant davantage une Europe de l’éducation, de la culture, des arts. Il est incroyable que les Européens se connaissent si mal entre eux. Les fondateurs de l’Europe étaient des fonctionnalistes. Ils ont dit « on va construire l’Europe sur du dur, du solide, du tangible, faire l’Europe de l’énergie, des réseaux, du commerce, de l’agriculture, de la monnaie et de la finance. Après les liens seront tellement forts, que le reste (sous entendu les hommes) suivra et qu’on ne pourra plus revenir en arrière ». Le Brexit montre l’inverse. Il faut tout reprendre au début. Faire l’Europe par les hommes, par la rencontre, l’échange. Connaître mutuellement nos façons de parler, chanter, de jouer, de danser, de s’aimer… Connaître nos histoires respectives, nos géographies… Je ne sais pas vraiment… Favoriser la création transeuropéenne, comme ce qu’on fait avec la deuxième création Eurofonik, qui réunit pendant 5 jours au Nouveau Pavillon trois artistes issus de trois pays européens. On l’avait déjà fait en 2016 avec Iacob Maciuca, Maria Simoglou et Kevin Sedikki. On recommence avec Sylvain Barou, Mehmet Salih Inan et Efren Lopez. Un Kurde de Turquie, un Espagnol et un Breton ! Trois virtuoses exceptionnels. Trois musiciens en quête de rencontre, d’ouverture, de croisement. Le fruit de leur rencontre est montré le jeudi 2 mars, en ouverture du festival. Eurofonik c’est un festival modeste par la taille mais avec des idées qui peuvent être partagées je pense, une ambition à la fois artistique, esthétique, mais aussi sociale et politique (au sens noble du terme).

 


Maarja Nuut – Kaupo Kikkas

 

Dans quelle(s) mesure(s) les artistes de tradition orale s’emparent davantage de ces questions ?
Tous les artistes de ces musiques que je connais ont les yeux tournés vers les autres musiciens trad’ d’ailleurs. Ce sont des langages ancrés localement mais très universels. Les Scandinaves jouent beaucoup avec les Ecossais par exemple. Beaucoup d’Italiens jouent de la musique irlandaise. La musique bretonne est prise souvent en exemple ailleurs en Europe… De nombreuses petites choses se construisent, mais avec des économies faibles car on est sur des esthétiques « non dominantes », ici comme ailleurs… Cette année l’Italien Luca Bassanese clôturera le festival et la soirée Eurofonik. C’est un artiste très engagé, à la fois festif et corrosif. Une belle clôture !

Tu parles du tropisme anglo-américain, et la volonté que porte aussi le festival pour en sortir, quelles sont pour toi les cultures (d’un point de vue artistique) fortes en Europe ?
C’est vrai que parfois je m’agace du tropisme anglo-saxon de certains jeunes musiciens français, qui ne rêvent que d’imiter (souvent en moins bien) les Etats-uniens ou les Anglais. L’un de mes textes de référence reste l’appel de Pete Seeger aux jeunes Européens en 1972 qui les encourageait au contraire à ne pas imiter les « Ricains » et à rechercher leurs propres racines musicales, s’en inspirer et développer des langages musicaux alternatifs… Les endroits d’Europe où ces musiques sont le plus développées et vivantes sont l’Irlande, l’Ecosse, les Balkans, l’Italie, la Scandinavie, l’Espagne, le Portugal, et bien sûr la France avec ce double foisonnement des cultures dites « régionales » (Bretagne, Corse, Auvergne, Occitanie, Pays basque, centre-France…) et des cultures issues de l’immigration. L’une des pistes d’avenir se situe là d’ailleurs, dans ce croisement…

 


Josefina Paulson – Mia Marin

 

La programmation est-elle un prolongement de l’édition précédente ?
Oui bien sûr. Beaucoup de chant, de voix comme d’habitude. L’an dernier, la dominante était féminine, cette année, elle est vraiment orientée sur la jeune création. La plupart des artistes ont autour de trente ans, voire moins ! C’est montrer aussi le dynamisme, et les tendances parfois aussi radicales, intransigeantes de cette nouvelle génération. Je pense à Aronde, Moxie, Maarja Nuut, Spontus & Manu Sabaté, Seiva… Cela va nous montrer les pistes que va suivre cette création européenne dans les années à venir. Loin des cultures dominantes, loin de la marchandisation culturelle, souvent sur des chemins de traverse…

Si tu devais inviter un artiste aujourd’hui pour la 6è édition, quel serait-il ?
Toujours le même que j’essaye d’inviter depuis si longtemps et qui ne tourne en France que l’été : So Called. Et en plus il est Canadien… Hi hi ! Il s’empare des musiques klezmer (musiques des Juifs Sépharades d’Europe de l’Est), et les interprète en les croisant avec le hip-hop très habilement, très finement. C’est du grand art. Un jour peut-être !

Festival Eurofonik au Nouveau Pavillon (Bouguenais), Théâtre Municipal (Rezé), Centre socio-culturel Bellevue, Espace Cosmopolis et Stereolux (Nantes), du 2 au 11 mars 2017.

Site EUROFONIK

 

La playliste du festival Eurofonik, les artistes qui auraient pu être à l’affiche du festival et qui n’y sont pas, peut-être l’an prochain..



Rédactrice en chef de ce site internet, chargée d'info-ressources à Trempo. Passionnée évidemment par la musique, toutes les musiques, mais aussi par la mer et la voile, les chevaux, la cuisine et plein d'autres choses.

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