En 2012, Nantes accueillait son tout premier festival de musiques traditionnelles et du monde. Trois ans plus tard, le projet est en suspens. Ce vendredi 25 septembre, une soirée de soutien à Eurofonik a lieu à la Cité des Congrès. Constat étonnant pour un festival que l’on pensait assis et légitime. Là n’est évidemment pas la question. Rencontre avec Sylvain Girault pour évoquer les raisons de l’annulation, du soutien demandé et du futur d’Eurofonik.
Photo bandeau – Le Jeu à la Nantaise © DR
Quelle est l’histoire du festival Eurofonik ?
Il est né d’une rencontre entre Paul Billaudeau, directeur de la Cité des congrès et passionné de musiques trad’, et moi. Il souhaitait organiser un événement fort autour des musiques traditionnelles / du monde à dimension internationale et s’associer pour cela au Nouveau Pavillon de Bouguenais. C’est la rencontre entre les moyens de la Cité (auxquels sont venus s’ajouter ceux de la Ville de Nantes) et l’expertise reconnue du Nouveau Pavillon. Mon idée était d’aborder ces musiques par la thématique européenne. En effet, on parle toujours de l’Europe en termes d’austérité, de règlements, de crise. Mais si on repartait de zéro en construisant l’Europe par les hommes, l’éducation, la culture ? Je me dis que ça irait peut-être un peu mieux. Commençons par mieux nous connaître entre nous… Eurofonik pourrait y contribuer à sa modeste place. La ligne éditoriale d’Eurofonik consiste à faire connaître au plus grand nombre des artistes vivant en Europe (donc intégrant bien sûr les richesses de l’immigration) d’aujourd’hui qui créent leur musique en s’inspirant des musiques populaires. C’est montrer aussi que les musiques de l’oralité ne sont pas l’apanage de « l’extra-occidental ». C’est montrer que l’Europe musicale peut exister entre le pop-rock anglo-saxon sous domination américaine et la musique classique post-Bach…
En trois éditions 2012-2013-2014 le festival Eurofonik a su affirmer une forte exigence de qualité et une identité artistique marquée, fondée sur l’esprit de découverte. Peu de têtes d’affiche à Eurofonik, mais beaucoup de découvertes ! Le public vient pour cela. On a su aussi asseoir un concept, une très forte singularité dans le paysage culturel régional, national et européen. Il ne faut pas oublier qu’on a eu une couverture médiatique nationale incroyable. Concernant la fréquentation, on est resté lors des trois éditions autour de 2500-3000 entrées payantes. C’est déjà super, mais sans doute insuffisant. Enfin, Eurofonik c’est aussi un festival convivial, « populaire » dans le bon sens du terme.
L’édition 2015 a été annulée, pour quelle raison ?
Soyons honnêtes, les moyens financiers et humains investis étaient trop importants par rapport à l’attractivité publique et le bon format – c’est-à-dire l’adéquation entre programmation / moyens / espace /durée, n’était pas encore complètement trouvée. La Cité des congrès recèle beaucoup de contraintes en termes de lieu (immensité, manque de chaleur, image liée aux congrès, au tourisme d’affaires) et de disponibilité (la priorité reste la vente de congrès et d’événements). Dans un contexte budgétaire difficile, la Ville de Nantes a donc souhaité ne pas renouveler sa subvention 2015 (70 000 euros) et que l’on réfléchisse ensemble à un nouveau format pour 2016. Sur le coup, je dois dire que ça a été dur à avaler. À moyen terme, repenser le format du festival tout en conservant la ligne éditoriale, me semble une bonne chose.
Une soirée de soutien à Eurofonik pourquoi ?
Pour deux raisons. D’abord l’annulation de l’édition 2015 nous a fragilisé financièrement nous, Nouveau Pavillon, en tant que producteur. En effet, lorsque l’on se réorganise, lorsque l’on se développe pour faire face à la prise en production directe d’un festival en plus de notre volet classique d’activités bouguenaisiennes (saison de concerts, résidences, actions culturelles…), il est difficile de faire face l’année où le festival est annulé. Car les charges de structure liées au festival restent… L’autre raison est que l’on souhaitait symboliquement « se serrer les coudes », montrer que la famille des musiques trad’/du monde à Nantes existait bel et bien, avait toute sa place, et que le festival Eurofonik en était une belle vitrine.
Une affiche de duos de musiques traditionnelles/du monde, pourquoi donc ?
La soirée se déroulera en deux temps, vendredi 25 septembre à 20h à l’auditorium 800 de la Cité des congrès. D’abord de 20h à 21h40, une affiche de cinq duos assez représentatifs de cette famille musicale à Nantes aujourd’hui : Moon Gogo, Couton-Fischer, Iacob Maciuca & Gheorghe Tudorache, Thierry Bertrand & Thierry Moreau, Daniel Givone & Rémy Hervo. Puis à 22h après l’entracte, le collectif « Jeu à la Nantaise ». Depuis le 14 mars 2009 et la soirée « Nantes au Zénith », ce collectif de onze musiciens et chanteurs se veut une sorte de « dream team » des musiques traditionnelles du monde de la région nantaise avec la chanteuse Aïcha Lebgaa (Urban Voices, Diwane de Béchar), le flûtiste Erwan Hamon (Hamon-Martin, Katé-Mé), le trompettiste Micha Passetchnik (Bajka, Translave), le saxophoniste Ronan Le Gourierec (Niou Bardophones, Bivoac, Les Allumés du chalumeau), le joueur de veuze François Robin (La circulaire, Les Allumés du chalumeau), le guitariste Guillaume Blain (Blain-Lezour), le violoniste Fred Bouley (Cache-cache les lézards), le bassiste François Badeau (le Coon, Esquisse), le clarinettiste Thomas Badeau (Roblin-Evain-Badeau,Esquisse), le batteur Pierre Le Normand (Shook Shook, Pierrot la lune, Esquisse) et moi-même au chant (Sylvain GirO, Katé-Mé). Comme un écho à l’identité portuaire de la ville, la musique du collectif est un voyage à travers la diversité culturelle nantaise. L’idée est de mélanger dans un tourbillon sonore les musiques populaires qui sont jouées aujourd’hui à Nantes : la musique locale bien sûr (bretonne), mais aussi d’Algérie, d’Europe de l’Est (tzigane et klezmer) et d’Irlande. Sur scène, les entrées et les sorties de scène se succèdent à un rythme effréné, une danse bulgare prolonge une reprise de Le Vent nous portera (Noir Désir) adaptée en rond guérandais, une jig irlandaise se marie à un air algérien, Aïcha et Sylvain dialoguent dans un chant à répondre algéro-breton. Le collectif assume totalement le caractère foisonnant de la musique ! De tout cela naît une sorte d’internationale nantaise des musiques populaires, une joyeuse marmite de musiques à la fois très « roots » et terriblement actuelles. En clair, ça réinvente de manière festive un « jeu à la nantaise » à une touche de balle, fondé sur le collectif, la générosité, la musique en partage.
Le Jeu à la nantaise © Hélène Pineau
Le festival en 2016, s’il a lieu, pourrait prendre un virage ?
Oui il aura lieu car la Ville de Nantes s’y est engagé très clairement et car nous avons trouvé des partenaires. Le format sera différent. Il y aura cinq soirées dans cinq lieux différents à Nantes et dans l’agglo. Ça devrait se dérouler autour des 9-10-11-12 mars 2016. Mais toujours la même lignée éditoriale : une vitrine de la création européenne d’aujourd’hui issue des musiques trad’. On en dira plus bientôt.
La problématique de financement de festivals semble récurrente. Comment vois-tu les choses ?
Plus que la problématique des festivals, c’est le financement de la culture qui pose problème. Je veux bien que l’on augmente nos ressources propres, etc. Mais sans financement public, les acteurs du spectacle vivant ne peuvent encourager la découverte, la création… En outre, cette problématique se pose particulièrement pour les musiques peu aidées par les pouvoirs publics. N’oublions pas que deux gros festivals de musiques traditionnelles ont été annulées en région en 2015 : Les Orientales et Eurofonik. Ce n’est pas rien. Et ce n’est pas normal.