Europe Endless, projet initié en 2014 par le collectif Etrange Miroir prend toute sa résonnance par les temps qui courent. Initié en 2014, le spectacle sera présenté ce samedi 8 octobre à la salle Paul Fort. Entrevue avec Marie et Raphaël du collectif autour de cette thématique brûlante et de son expression au travers des arts.
Tous visuels : Europe Endless © Johannes Lukas Gartner
Peux-tu présenter Etrange Miroir ?
Marie : Le collectif est né en 2011 suite à une rencontre de gens à La Cimade. Raphaël, Charly et moi Marie étions bénévoles à La Cimade, sans avoir véritablement les compétences si ce n’est des compétences culturelles à mettre à profit pour le festival Migrants’Scène. L’organisation du festival nous a été confiée de 2008 à 2011, et forts de cette expérience, nous nous sommes un peu émancipé de La Cimade, celle-ci n’ayant pas vocation à faire de la production de spectacles. Le collectif Etrange Miroir est né, mais la collaboration s’est poursuivi durant quatre ans avec La Cimade sur plusieurs projets comme Le bruit et la rumeur, Mother Border, une installation sonore sur les femmes migrantes Mobiles illégitimes et puis Europe Endless. Notre réflexion s’alimente désormais avec Migreurop, un réseau d’observatoires qui travaillent aux frontières. L’activité du collectif s’articule autour de 3 axes : la production de spectacles, des ateliers de création sonore avec des publics divers, et des installations sonores. Le fonctionnement est associatif, avec un CA, deux salariées (Fanny et moi Marie), des intermittents qui gravitent à l’année, une dizaine de personnes, et puis des bénévoles. Mais chaque projet amène des gens différents, on ne veut pas s’enfermer, on « applique la migration » au sein même de l’asso.
« La gestion de l’immigration dans un pays est le reflet, le miroir de l’état de la société et du dysfonctionnement entre les états »
Pourquoi Etrange Miroir ?
M : J’ai fait des études sur les migrations, j’ai découvert un sociologue brillant, Abdelmalek Sayad, auteur de La double absence, un ouvrage où il constate que l’état de la gestion de l’immigration dans un pays est le reflet, le miroir de l’état de la société et du dysfonctionnement entre les états, d’où étrange miroir. Et comme le fond de notre projet se fonde sur le documentaire, sur cette réalité de société, ça prend tout son sens.
La thématique de la migration est-elle au coeur du projet du collectif ?
M : Le socle de notre projet s’appuie sur ces questions, c’est certain. Nous avons néanmoins à Clisson porté un projet sur le patrimoine industriel clissonnais mais ces questions de migrations sont inhérentes à beaucoup de sujets comme le patrimoine, comment il se créé, les mouvements de gens, puisqu’on parle des gens, de l’histoire. Tout est un peu politique finalement.
« Nous avons abordé Europe Endless sous l’angle philosophique parce que la thématique nous faisait un peu peur, et que nous voulions la traiter avec un peu de rêve »
Pour en revenir à Europe Endless, comment s’est monté ce projet ?
M : C’est un projet qui a été co-produit par La Cimade dans sa toute première version en 2014 sur lequel le travail s’est poursuivi ces deux dernières années. Nous avons abordé Europe Endless sous l’angle philosophique parce que la thématique nous faisait un peu peur, et que nous voulions la traiter avec un peu de rêve. On s’est plongé dans les grandes idées fondatrices de l’Europe, rencontré un philosophe qui nous a orienté vers la problématique suivante : comment l’Europe qui est un projet démocratique, défendant les droits de l’homme gère la situation aux frontières des flux de migrants, c’est une question. On s’est rendu dans les institutions européennes en posant cette question. Personne n’a dit bafouer les droits de l’homme, ils sont conscients de la situation, ils font ce qu’ils peuvent. Personne n’arrive à se mettre d’accord et les fonctionnaires de l’Europe ne font qu’exécuter les directives prises et votées par les politiques. Ces témoignages recueillis à Bruxelles sont confrontés à des discours plus imaginaires, comme ceux de Mathias Énard ou Romain Gary par exemple, et sont la base du spectacle, qui se base sur cette schizophrénie autour de l’Europe, sa réalité et ses discours plus philosophiques à travers cinq thématiques choisies.
Ce samedi 8 octobre, vous présentez à la salle Paul Fort une nouvelle version, qu’est ce qui a changé ?
M : Les choses sont plus vivantes, le dialogue est davantage présent. Au début, j’étais en voix-off, je suis revenue sur scène, il y a aussi un nouveau musicien, les vidéos sont en Vjing, le VJ est sur scène. C’est davantage joué.
Raphaël : On s’est affranchi du côté didactique. Le sujet est complexe, mais on l’aborde plus dans le ressenti. L’idée n’est pas de chercher à expliquer notre démarche, il y a plus d’artistique que de didactique. Sur le live, on interagit davantage à cinq, c’est une forme de workshop. Les choses se créent un peu en live aussi.
« L’accent a été mis sur le côté mécanique et le choix des machines, il y aussi une continuité, une musique jouée en permanence, qui résonne aussi avec le titre « endless », le côté infini, obsessionnel »
Comment vous faites dialoguer les différents arts, comment s’articulent-ils ?
R : C’est bien toute la complexité et l’enjeu du truc qui touche aussi la symbole de l’Europe justement : faire quelque chose de commun en étant différent avec des médiums différents pour le faire. Le propos est dense, on se sent parfois fragiles, mais c’est bien. On tend vers la performance accessible et documentée. Sans être non plus des spécialistes, on s’empare du sujet étant artistes, et ça le rend accessible je crois. Pour la partie musicale que je maîtrise mieux, l’accent a été mis sur le côté mécanique et le choix des machines, il y aussi une continuité, une musique jouée en permanence, qui résonne aussi avec le titre « endless », le côté infini, obsessionnel. Et puis j’avoue que jouer sur un truc réaliste, profondément injuste, un documentaire, très axé sur les voix, ça change beaucoup de choses, on n’interprète pas des chansons de son propre univers. On souligne davantage les sensations, les sensations que l’on a au vu d’une réalité, en l’occurence la migration. Pour la danse, la vidéo, il y a un aspect vertigineux qui est défendu. C’est assez hypnotisant au final.
M : Le danseur est à fond dans l’image, dans des cheminements, il est le premier témoin de tout ça, il est rechanté et projeté à l’écran. Il joue avec son double, tout concourt à la perdition, à l’hypnotique.
Pour en revenir à l’injustice, est-ce que vous êtes parfois énervés sur scène ?
R : Y a un moment où on s’énerve, sur un passage d’un discours de Mathias Enard, mais dans l’ensemble c’est contenu.
M : Il faut éviter de tomber dans le piège à mon sens, ce serait finalement attendu que de pondre un truc énervé.
Quelle ambition politique vous donnez au projet ?
M : Ouvrir le champ et permettre des réflexions qui seront fondées sur la philo, l’histoire, la géographie. J’ai beaucoup lu le philosophe tchèque Patocka, il explique bien que l’Europe finalement est née sur des cendres, qu’il n’y a pas d’esprit européen, que les choses vont prendre beaucoup de temps. C’est ce genre de réflexions qu’il faut intégrer aussi.
Vous allez porter des projets d’action culturelle autour de ça ?
R : Oui, un travail avec des publics plutôt scolaires, collèges et lycées, démarre en 2017. Le travail va se concentrer sur des ateliers autour du langage utilisé dans le spectacle, de la création sonore et autour de la thématique qu’est l’Europe et de la migration en amont d’une présentation du spectacle. On est au tout début de tout ça.
M : C’est pas toujours simple, la dispo des enseignants, leurs moyens. On fera en fonction aussi des établissements. Dès lors qu’une salle est partenaire, c’est plus facile pour nous.
Avez-vous déjà en tête un prochain projet, sa thématique ?
M : Non, honnêtement, depuis 5 ans, les choses se sont enchaînées, ça demande beaucoup d’énergie tout ça. Le projet de Clisson, une expo/installation pour Migr’Europe, et puis Europe Endless. Ce qui est sûr, c’est que le prochain projet sera un peu plus petit. Enfin, je ne sais pas trop.
Quel est le dernier spectacle vu qui t’a bluffé ?
M : Le spectacle Frères de la Cie Maladroits au Studio Théâtre, spectacle programmé par le Théâtre Universitaire il y a trois semaines. Ca parle aussi d’histoire, c’est sans doute un peu pour cela.