Traversant, éclectique, beau et bruyant ». C’est ainsi que CABLE# présentait la deuxième édition de son festival en 2009. Six ans plus tard, force est de constater que cette volonté d’ouvrir grand les oreilles, de renverser les meubles, de crier jusqu’à plus voix est toujours là. Entretien avec Will Guthrie, pilier de l’association.
Est-ce que tu peux te présenter Will ?
Je suis musicien d’abord et depuis presque dix ans, je fait partie de CABLE#, association qui organise des concerts à Nantes et un festival tous les ans en février. On est 5 membres actifs, auxquels s’ajoutent d’autres personnes pour l’organisation du festival.
Vous présentiez le Festival CABLE##6 ainsi : « De la musique électroacoustique savante et distinguée, du rock crade et sauvage, et tout ce qu’il y a entre les deux … ». Est-ce que tu reprendrais ces mots 2 ans plus tard? Ou est-ce que le festival a encore évolué?
C’est toujours ça. Et on veut que ça reste comme ça. Chaque année, pour décrire le festival, on met bêtement sur nos flys une super longue liste de musique un peu débile pour dire justement qu’on est tout ça, et que l’idée d’un festival avec un seul style ne nous intéresse pas. On dit toujours que c’est un festival de pratiques expérimentales qui touche plein de styles de musique différents. Il y a des côtés super académiques avec la musique électroacoustique ou la composition contemporaine, et des groupes hyper crades, rock. On aime beaucoup ça, on aime vraiment les deux et tout ce qu’il y a entre les deux.
Il y a une personne qui s’occupe de la programmation ou est-ce qu’elle est collective ?
Il n’y a pas de programmateur, c’est plutôt collectif, tout le monde fait un peu tout. Comme on est artiste et musicien pour la plupart, on a la chance de pouvoir voyager. Chacun voit des choses qui nous intéresse et parfois il suffit que l’un de nous dise « je veux programmer ce groupe » et on le fait. Et jusque là, ça a plutôt très bien fonctionné.
Nah (Jeudi 19 février / avec Poule Poutre et Fusiller / chez Raum / 5/7€ / 20h)
Cette année, c’est la huitième édition du festival CABLE#. Vous avez fait jouer Noel Akchote, Martin Brandlmayr, Chausse Trappe, Eliane Radigue,… Qu’est-ce qui guide la programmation du Festival CABLE#? Est-ce qu’il y a un fil conducteur? Ou bien c’est juste le plaisir?
C’est surtout le plaisir. On a envie de découvrir des choses nous-même. Il faut dire que quand on a commencé CABLE#, la scène des musiques improvisées était un peu fatiguée, et on voyait les mêmes groupes souvent, comme c’est le cas dans beaucoup de festivals. Il y a des gens à la mode, tu les vois dans tous les festivals. On a donc toujours essayé d’être plutôt un festival de découvertes pour nous-même et pour le public. Il y a des groupes cette année dont des copains ou des membres de l’équipe disent : « Ah, il faut absolument faire jouer ce groupe là, c’est mortel, et il n’a jamais joué en France ». C’est un peu moteur, c’est ça qui nous excite, qui nous donne l’énergie pour dire « on va les programmer ».
Quel est le lien qui relie les artistes par soirée? Est-ce que c’est une histoire d’accointance esthétique?
Il y a parfois un lien, parfois pas, exprès. Parce que cette idée de lister tous ces styles de musiques, c’est essayer de faire se croiser les publics, et ça ce n’est pas facile. C’est un problème que beaucoup d’organisateurs ont. On mélange donc délibérément plusieurs styles dans la même soirée. Chaque groupe va ramener son public, et on essaye que le public découvre autre chose. Par exemple, le vendredi et le samedi soir, les deux plus grosses soirées, c’est hyper divers et éclectiques comme programmation, on fait ça volontairement.
C’est une volonté de confrontation?
Mouais, pas vraiment… un petit peu mais pas pour donner des leçons. Il y a plein de gens qui en ont marre de se taper une soirée avec quatre groupes de math-rock ou quatre groupes de folk ou quatre groupes de noise. Yamoy fait pareil, ils font un super boulot en éclatant l’idée de style. Perso, je préfère ça.
Vespre (Samedi 21 février / avec Rudolf EB.ER, Thomas Chatard et Antoine Ledroit, Aaron Dilloway et Greg Pope, Toner Low, DJ Mellotron & Taillejockey / Atelier de Bitche / 8/10€ / 20h30)
Comment vous faites pour faire venir des artistes étrangers? Ça doit coûter cher ?
Souvent, c’est nous qui déclenchons leur venue, mais on travaille avec d’autres structures, comme les Instants Chavirés à Montreuil, Cave 12 à Genève. Ce sont des lieux très connus pour cette musique en Europe. Il y a souvent deux ou trois artistes que l’on programme qui vont jouer dans un ou plusieurs de ces lieux, donc on partage les frais. Avec Nah, on a déclenché sa venue puis on a cherché d’autres dates pour lui en France. Il va jouer au Temps Machine à Tours, à Lille,… C’est l’avantage d’un milieu tout petit. On se connait, il y a un lien direct, il y a très peu de tourneurs. Les artistes sont en général super content de venir jouer à CABLE#, il n’y a pas dix mille festivals comme ça.
Quel est le lien pour CABLE# entre un écrivain, un groupe de doom stoner et une performance vidéo?
C’est là où ça se complique (rire). Je dirais que derrière tout ces artistes là il y a une démarche expérimentale, ce sont des gens qui poussent les frontières, qui poussent cette idée de style. Et puis, ils ont une démarche bien personnelle, on ne veut pas inviter un groupe qui sonne comme un autre. On invite Olivier Cadiot parce qu’il y en a qu’un qui écrit comme Olivier Cadiot. C’est là où l’idée de style ne nous intéresse vraiment pas. On ne veut pas écouter un groupe qui joue comme Shellac, on veut écouter Shellac. Dans notre choix c’est important, très important.
Au fil des éditions, la vidéo et le texte semble prendre plus de place dans la programmation. C’était une envie dès la création du festival ou bien l’appétit est venu en programmant… ?
On a toujours travailler avec l’image, parce que presque chaque année, si ce n’est chaque année, on collabore avec Mire, une asso de cinéma expérimental à Nantes. On est assez proche artistiquement et ça se passe bien avec eux. Pour le texte, peut-être un petit peu plus, mais quand même depuis le début, on a chaque année au moins une proposition littéraire.
Empty Set (Vendredi 20 février / avec Anne Guthrie, Olivier Cadiot, John Hegre & Greg Pope, Klondike Dj Set / Espace Cosmopolis / 8/10€ / 19h Ouverture des portes & Food , 20h Début des concerts)
Est-ce qu’il y a une relation entre les artistes programmés et les lieux où ils jouent?
Oui, complètement. Il y a certains lieux qui se prêtent à certains types de propositions, ça c’est sûr. On cherche à chaque fois des lieux plutôt atypiques. Comme ce sont souvent des musiques un peu atypiques, ce n’est pas toujours super de voir ces artistes sur scène, dans un lieu traditionnel. Et nous-même en tant que musiciens et spectateurs, nous sommes plutôt à la recherche de lieux un peu différents qui cassent cette image de la scène traditionnelle, même si il y a ça aussi dans CABLE## . Et puis, en faisant cela, on espère aussi trouver un autre public. Par exemple, au resto social Pierre Landais, où on fait quelque chose le vendredi midi, on va forcément toucher un autre public, c’est un public qui ne va jamais aller dans les lieux institutionnels culturels à Nantes. Dans ce cas-là, on essaye de ramener quelque chose chez eux, de chercher un croisement : les artistes jouent devant un public différent et le public découvre de nouvelles pratiques.
Une soirée de soutien au festival à la Barricade a été annulée à cause de problème de voisinage. Quel est votre regard sur ces problèmes récurrent de cohabitation entre lieux de musique et habitants? Est-ce qu’il reste des lieux de diffusion à Nantes? En particulier pour les musiques que vous présentez à CABLE## tout au long de l’année ?
Ce n’est pas évident, parce que les lieux institutionnels ne répondent pas à nos besoins tout simplement. Les lieux même et toutes les contraintes, administration, sécurité, ce n’est pas intéressant. Et on n’est pas en mesure de pouvoir assurer toutes ces contraintes qui sont extrêmement lourdes, c’est de la folie. On est attiré par les lieux où ça se passe un petit peu plus simplement. Et puis ce n’est pas notre métier d’organiser des festivals. À Nantes, on peut dire que la ville veut tout faire pour qu’il n’y ait que les lieux institutionnels. Il y en a des supers, certains qui sont plus intéressants que d’autres, mais ce n’est même pas tellement ça le souci. Il ne faut pas qu’il n’y ait que ça. On a toujours fait un mélange entre les deux, on a organisé des soirées au musée des Beaux-Arts, on a rien contre, mais on a toujours défendu l’idée que la culture ne se fait pas que dans des lieux culturels gérés par la Ville.
Pour CABLE#5, vous disiez : « le festival CABLE# a eu l’envie de se faire. » Est-ce que c’est toujours le cas, cette envie, cette nécessité de faire CABLE#, un peu malgré vous?
C’est énormément de boulot mais la plupart de l’équipe du festival a toujours organisé des concerts parce qu’on évolue dans une musique plus compliquée, expérimentale, marginale, qui fait que si tu veux jouer, il faut absolument que tu organises toi-même le concert sinon tu ne vas pas jouer. Je joue beaucoup, et c’est toujours la même histoire partout : si les musiciens n’organisent pas eux-même, il n’y a pas de concert. Je n’aime pas utiliser la démarche DIY (Do It Yourself), je n’ai jamais entendu ce terme avant d’arriver en France. J’ai toujours fait ça, parce que tout le monde fait ça, point ! Et on n’a pas envie de laisser tomber ça, parce qu’il n’y a pas d’autres événements comme ceux-là pour compléter la vie culturelle nantaise. Et puis, on fait ça tout simplement par envie, c’est pour ça qu’on ne demande pas de sub’ pour rester un peu « pur et dur ». On est conscient qu’il y a un côté politique qui est intéressant, mais on n’est pas en train de dire qu’on est super engagé parce qu’on organise un festival. On aime ça. Nous sommes des musiciens donc on organise le type de festival dans lequel on aimerait bien jouer, ça s’est vraiment super important.
Alan Courtis (Dimanche 22 février / avec Sébastien Borgo, Alan Courtis & Aaron Moore, Jajouka, Quelque chose de bon vient vers toi, de Éric & Marc Hurtado / Salle Bretagne / 7/9€ / 13h Vendéen Food Folies, 14h Début du concert)
Est-ce qu’il y a une démarche particulière en terme de tarif ? Les entrées ne sont vraiment pas chères…
C’est volontaire. Comme la musique n’est pas toujours super évidente, on essaye de faire venir le plus de curieux possible, et donc forcément, le prix ça aide. Et puis, c’est aussi parce qu’on estime que les prix pratiqués habituellement pour aller voir un concert, c’est juste trop cher. La culture est super luxe et moi-même, étant musicien, je ne peux pas payer 10€ pour aller voir un concert, c’est impossible. Et encore 10€, ça va, ce n’est pas le plus cher. Si on ne veut pas que la culture ne devienne accessible qu’aux gens qui ont de l’argent, il faut être conscient de cette problématique là. Ce qui fait que ça ramène moins d’argent mais j’espère plus de gens et ça a toujours plutôt bien marché.
Quel est/sont le/les artistes que tu attends le plus ?
Je dis ça vraiment honnêtement, il y en a vraiment beaucoup, parce qu’on est des geeks de cette musique-là, des passionnés. Il y a Nick Hennies qui va jouer à la HAB Galerie, c’est la première fois qu’il joue en Europe, un jeune mec super intéressant. Il y a Nah, un truc plutôt hip-hop, je suis super content de voir ça. Il y a Fusiller aussi, que je n’ai jamais vu mais dont j’ai beaucoup entendu parlé. Il y a Olivier Cadiot. Il y a Ann Guthrie, une jeune compositrice américaine, c’est aussi son premier concert en France. Il y a Toner Low, je pense que ça va être vraiment bien. Il y a des films le dimanche, il y a vraiment plein de trucs. En fait, on les invite parce que nous-même on a envie de les voir, c’est vraiment ça. Mais personne ne connait tout ces gens-là ! C’est risqué mais notre public dit souvent : « on ne connait pas mais l’année dernière c’était chouette, allez, on tente notre chance ».
Donc, pour toi, c’est normal que les gens ne connaissent pas la programmation ?
Ah mais ouais ! Même les gens qui connaissent ce milieu là, ils ne le connaissent pas forcément (Rire). Parce que c’est méga pointu. C’est peut-être un peu arrogant, mais on veut être les premiers. Je ne vois pas trop l’intérêt de faire jouer quelqu’un qui est déjà passé trois fois à Nantes. Yamoy, c’est un peu pareil , ils passent des groupes que tu vois deux ans plus tard à Stereolux. Mais c’est aussi le rôle des assos, je pense. Des institutions ne peuvent pas prendre ce risque là parfois.