On avait laissé Framix en 2012, avec Stuck in a cruel world, disque-film en forme de tour de force : le projet, auto-financé et auto-réalisé, avait accouché d’un réjouissant court métrage musical dans l’esprit vitaminé et insouciant des teenage movies américains des 50’s. Bagnoles mythiques, drive-in pour draguer, fastfood pour croûter, teddy boys et serveuses pin-up comme protagonistes : Framix réifiait une Amérique éternelle et fantasmée. Qu’importe, de gauloises institutions telles que France Inter, Radio Nova ou FIP trouvèrent le plat à leur goût… et nous également !
Aujourd’hui de retour avec Luckey monkeys, notre Sherif de Chantenay change de décors, façon oxymore : s’il englobe l’Humanité toute entière sous le sobriquet de « singes chanceux », la pochette du disque souligne, en opposition, l’ironie du propos. Notre « gentil redneck » – comme il s’auto- qualifie ! – fait sans doute sienne l’historique phrase du Président Chirac en ouverture du IV° « Sommet de la Terre », en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
De fait, s’il livre treize nouvelles chansons parfaitement accrocheuses et primesautières, la forme ne saurait être confondue avec le fond : ses textes dépeignent une race humaine arrogante et irresponsable. Sur le titre Lucky Monkeys I, il fait un état des lieux (« They filled the countries/They ate the land and the trees/They beleived they were kings/But they were only champanzees ») pour mieux enfoncer le clou, en conclusion, sur Lucky Monkeys II : « Degenerate monkeys, destroy their ship/They take advantage but they don’t deserve it ». Accordons-lui la grâce de ne pas s’exclure pour autant de son réquisitoire puisque le refrain annonce « And you can not know how sorry/How sorry I feel to be/Degenerated/This degenerated monkey ». On le sait berger à ses heures – RSA et droits d’auteur ne suffisent pas forcément à nourrir son homme – mais, ici, il devient artisan en bonbons au poivre ou sucettes au gingembre !
Finalement, sa posture d’ermite, composant dans sa cabane, au milieu d’un écrin de verdure, seulement perturbé par quelques bêlements de moutons, lui va bien au teint : multi-instrumentiste inventif, il joue la carte du vintage (belles reverbes, pas d’effets ostentatoires) tout en évitant l’écueil de la nostalgie. Si l’on trouve, tout au long de Lucky Monkeys, les reliefs du rock’n’roll des pionniers, des feelings calypso ou dub et quelques coquetteries doo-wop, Framix touille l’ensemble dans son chaudron magique pour un résultat retrofuturiste de bon aloi, qui a la saveur du contemporain.
Il n’est qu’à voir l’hilarant clip du single Half a coyote, titre fortement imprégné de Bo Diddley beat, pour se convaincre que Framix a quelque chose du Jonathan Richman « idiot du village », dans son époque avec les Modern Lovers, jusqu’au jeu de dialogue entre le chanteur et les chœurs (« Framix, Framix, where do you live ? Sometimes I live in my countryside, sometimes I live downtown »). Faire le clown dans l’espoir de provoquer la réflexion de ses contemporains. D’ailleurs, Jonathan Richman, a qui on demandait si son statut d’idiot du village ne le gênait pas, ne s’y était pas trompé en rétorquant : « Dans l’expression idiot du village, ça n’est pas l’idiot, qui m’encombre ; c’est le village ! ». Framix, mi-homme, mi-coyote, vous tend la patte alors give him five !
Photo bandeau : Framix © Anne-Sophie Sibilat