Une chose est sûre, aujourd’hui me pousse à renaitre.
Les platanes se desquament d’impudique manière au bord de la rivière gorgée des eaux d’hiver, qui gonfle et se ballonne, affleure la route communale qui l’enjambe. Quelques pluies de plus et elle drapera le vilain bitume. C’est vert et marron, humide et presque froid, ça goutte et dégoûte, c’est gris percé de bleu dans le ciel, vert teinté de gris dans l’eau bouillonnante de l’écluse (75 dB).
Les écorces se répandent autour des troncs, dans les racines apparentes, pièces boisées dispersées façon puzzle, morceaux de cartes isolés, continents laissés pour compte par la tectonique reptilienne.
Cette immersion campagnarde en la compagnie des arbres me ressource tout à fait, délicatesse salvatrice du végétal quand l’humain fatigue.
La maison familiale faite de vieilles pierres, incrustée dans un bout de roche, complète d’une stabilité toute minérale cet apaisement de l’esprit.
Chaque année février me semble un peu plus dur. Comme un mois de pause du moi. Une purification avant le retour en guerre.
Incertain dans son tempo, bissextile comme Bowie, ce février me scie souvent l’enthousiasme.
Et le présent pluviôse ne déroge pas à la règle, il va passer sans que je n’ai rien fait – comme le dit la chanson. Je procrastine depuis le début du mois, reporte à demain jusqu’au deux mars.
Plutôt que de m’acharner au charbon je me suis octroyé une pause bucheronnage dans la demeure des ancêtres. Ambiance feux de bois et fromage fondu.
Tout de même, la contemplation des arbres, la course des écureuils et l’échalupage des noix ne devraient pas me suffire. Fais-toi violence mon garçon, qu’y-a-t-il à faire par ici? Une sortie vers la ville palindrome? Un peu d’art naïf en journée ou quelque électricité en soirée?
Boire une 6.8 au 6 x 4 dans le 5.3. ?
Je lis le Tranzistor et écoute le journal – joli contresens – sur la radio associative dont le patronyme m’évoque cette belle utopie de papier réalisée par Michel Butel dans les années 1990.
J’égraine les propositions de sorties mais rien ne me tente. Déjà vu ou pas envie. La vieuxconnîte me guette. Je moisi, comme disait Blier dans un film de son fils.
Et puis j’aimerais oublier la voiture. Compliqué la campagne pour un casanier sans caisse.
Pour tout déplacement, une balade à la rivière suffira.
Mais avant, dans cette maison que je connais par cœur, j’extraie une nouvelle fois les mêmes disques de la collection familiale, deux merveilles que je pose sur la platine l’une après l’autre. Les Danses Anciennes de Hongrie par le Clemencic Consort, dont le premier morceau me transporte littéralement par sa facilité à laisser croire que le temps ne passe pas. Puis Encounters de Ben Webster & Coleman Hawkins, un millésime 1959 de chez Verve dont le suave La Rosita donne irrésistiblement envie d’enlacer. (30 dB)
Plus tard, la cavalcade des loirs sur la charpente au creux de la nuit aura des réminiscences de doigts agiles sur la peau tendu d’un zarb ou d’un daf. Des sonorités persanes près des persiennes qui contaminent mes songes et me transportent en de probables mille et une nuits de folklore – pour peu que je m’en souvienne. Ces orientaleries – ou sont-ce les rongeurs du toît?-  font glisser mon esprit vers le nouveau disque que publie bientôt F.Alexis Degrenier sur le label Standard In Fi, que je piaffe d’écouter.
Dehors, malgré le vent glacé qui vient de se lever, des volatiles pleins de bravoure font un barouf du tonnerre (40 dB). Ça pioupioute, ça twitwitte, ça ululle, ça picpique, ça croucroute, ça fiufiute et ça iikiique d’un arbre à l’autre, sans discontinuer, interminable tchate de communicants plumés.
Mais, sourd à ce réseau d’oiseaux, je suis tout entier absorbé par le bouillon de la rivière en contrebas.
Kim Novak en plein vertige.
L’ondulation constante et les variations infimes de l’eau me ramènent à la musique des oxymoriques Vacarme. Mon esprit s’en va à la dérive.
La mue des platanes vient-elle de la fréquentation constante des lieux par de boutonneux adolescents à deux roues, qui laissent des serments minables gravés sur les arbres?
Une bonne vieille mobylette, voilà qui pourvoirait de belle manière à mes déplacements ici.
Une brêle à l’ancienne achetée aux Cycles Jacquot & Co, guidon torsadé, jantes chromées, solide comme un mulet et qui, bien défoncée à l’éther, pourrait rouler à 70 kmh (pour 100 dB au bas mot, le ratio est intéressant).
Bon, retour au calme, je sens, alentour, que tout ce que je retrouve a changé.
J’ai vieilli, tout simplement, et ce petit coin de nature également, n’en déplaise à le chat de machine qui détale comme je m’approche.

Né en 1964 Louis Pleïer est chercheur dilletante en esthétique sonore. Il connait bien le milieu de la musique mais personne ne le remarque vraiment. Discret voire taiseux il possède un pas léger. Il enregistre volontiers toutes sortes de sons et en mesure parfois la puissance (en dB). Il se promène, cherche les arbres.

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