JACK IN MY HEAD, DES FOCALES MULTIPLES

Dans le cadre de Up, évènement rezéen dédié aux cultures urbaines, qui se tient du 8 au 10 décembre, La Soufflerie a demandé à Erwan Martinerie, aka Jack in my head, de mener une création artistique, musicale et visuelle, prenant en considération le territoire de la Ville de Rezé et sa jeunesse. Après quelques mois de rencontres et de collectes, Erwan Martinerie, musicien qui entre temps a fait appel à la créativité visuelle de son fidèle éclairagiste et scénographe Sébastien Bouclé, propose avec ce dernier un spectacle extrêmement vivant autour de l’école, la médiathèque, la rue, la salle de sport et bien d’autres encores, lieux rendus abstraits et résolument poétiques. Eclaircissements avec Erwan.

Tous visuels : Phonorama Subjectif 2 – DR



Tu joues du violoncelle, instrument classique, dans de multiples groupes « amplifiés », comment expliques-tu cela ?
J’ai commencé à étudier le violoncelle à 6 ans, ma mère est violoniste et mon père violoncelliste, tous les deux profs au Conservatoire et solistes à l’OPPL à l’époque. J’ai donc été baigné dans ces musiques, France Musique à la maison, mais mes parents ne me voyaient pas forcément musicien professionnel. J’ai suivi des études d’architecture, je me suis éclaté. J’ai croisé plein de gens qui font de la musique pendant mes études, et j’ai monté mon premier groupe, Anna Sylièce, en 1995. Je suis sorti du mode de jeu des musiques classiques, il m’a fallu apprendre à jouer à l’oreille, amplifier mon violoncelle et m’intéresser au traitement sonore. Depuis ce groupe, ce n’est qu’une affaire de rencontres. Je rencontre JC de Prajna au moment de passer mon diplôme d’archi que j’obtiens, mais je n’ai jamais exercé le métier d’architecte, j’ai été embarqué dans la musique. Je découvre le milieu professionnel, des années plutôt fastes, trois albums, beaucoup de concerts. Prajna fut un très bon groupe pour démarrer une carrière professionnel de musiciens. J’ai été sollicité par divers projets (Dérézo, YMH, Man Machine and Motion, Les Confidences Sonores de Jean-Louis Le Vallegant). Au jour d’aujourd’hui, je joue avec Simon Nwambeben, Sylvain Giro,  François Robin sur un spectacle jeune public, quelques concerts avec Crimson Daze et Claire Redor. Et puis Jack in my head.

Tu contrebalances tous ces projets de groupe avec ton solo ?
Dès la création de Jack in my head, je voulais tester ma capacité à composer tout seul. Je trouve un équilibre entre ces collaborations enrichissantes avec un peu de compromis toujours et puis ces moments où je suis tout seul et les difficultés qui vont avec : savoir trancher, jusqu’où aller etc. Cette création Phonorama subjectif m’a poussé à me donner un vrai cadre pour ne pas partir dans tous les sens. Je vais plus loin dans mon esthétique qu’est la musique électronique, je me pose même la question d’intégrer un chanteur.  Accompagner une voix est quelque chose que j’aime beaucoup, je l’ai découvert avec mon projet autour des contes de Maupassant.

 

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Pour revenir à Phonorama subjectif, tu travailles avec le scénographe/éclairagiste/vidéaste Sébastien Bouclé. Comment considères-tu l’image et comment lui considère la musique ?
Les choses se sont construites petit à petit. Sébastien Bouclé travaille depuis le début avec moi sur ce projet et au départ, il ne faisait pas de vidéo. Il a très vite eu l’idée de l’écran pour jouer avec des projections d’ombre. Il avait la contrainte d’éclairer un gars seul sur scène, et assis, donc très statique et augmenter le peu de mouvements que je fais. Seb se considère toujours comme un éclairagiste qui utilise le projecteur vidéo comme il utilise un projecteur lumière. Il est assez méfiant avec les images pures dans le sens figuratif. Il ne veut pas proposer une autre narration que celle de la musique et du musicien qu’on vient voir. Malgré tout, sur cette création qui valorise le territoire, il y a des images narratives, mais elles sont quand même un peu transformées. Il cherche des modes de traitement qui emmènent vers autre chose. Il me laisse faire les choses musicalement, et me dit souvent comment il voit ma musique, les trucs à creuser. Il est plus présent dans l’artistique du projet qu’un éclairagiste, on rencontré les gens filmés ensemble, on a fait les images ensemble, le dérushage aussi.

On va rentrer dans le vif du sujet de ce projet Phonorama subjectif, c’est une commande ?
On avait fait une création de ce genre à Saint-Herblain de manière très autonome. Pour ce qui est de Rezé, c’est une demande de Ludovic Rétif, chargé des musiques actuelles à la Soufflerie. Il savait qu’il allait proposer ce projet dans le cadre de Up, évènement autour des cultures urbaines à destination des jeunes. Il m’a donc demandé d’avoir un angle d’attaque sur la jeunesse. On est tombé d’accord sur le fait qu’il fallait aller à la rencontre de cette population de jeunes. Et puis on voulait développer le côté participatif. On a présenté nos idées à la médiathèque, au CSC Château, une asso de amateurs, un crew de break-dancers, à l’école de musique à un prof de collège. On a pris des images, des sons, on a demandé aux jeunes de prendre aussi des vidéos avec leur smartphone. Durant toute cette phase de prise de matière, je n’avais aucun morceau. Après cette collecte, je me suis posé chez moi et j’ai composé à parti de sons pris auprès des jeunes. J’ai retravaillé avec Seb dans un second temps autour des images.

Est-ce que tout cela a influencé ta musique ?
Ces morceaux ne sont pas si différents que les précédents, et en même temps, tout cela m’a beaucoup influencé. J’ai beaucoup de sons dans mes programmations issues de ces collectes, j’ai aussi une couleur plus enlevée, plus pêchue. La vision est très subjective, on part du réel et on en fait une création artistique.

 

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Vous avez été étonnés par ce que vous avez vu, entendu ?
On a vraiment été surpris par Les Forges électroniques de Trentemoult, un atelier autour de la forge pour les enfants et notamment une petite de 5 ans en bleu de travail trop grand pour elle qui tripe sur la soudure. J’ajouterai l’asso de skateurs qui très vite nous a exprimé ses craintes sur les images qui rendraient compte d’un truc pas super abouti, des figures ratées. Pour ce qui est du scolaire, on a été étonné par le répondant du collège et, à l’inverse, la grande réserve des lycéens.

Vous qui êtes tous deux des péri-urbains ou ruraux, est ce que c’est simple de prendre des images en milieu totalement urbain, d’appréhender ses codes ?
On se rend compte petit à petit qu’il y’a deux échelles qui nous intéresse : le panorama depuis le toit de la Cité Radieuse par exemple, et sur la macro, le détail. L’entre-deux finalement n’est pas super intéressant, il est difficile à traiter, les images sont fatigantes. On a ralenti des choses aussi. Il faut dire qu’on a une grande surface de projection, on a dû prendre ça en compte et réduire parfois les contributions vidéos des ados qui filment avec leur smartphone mais en bougeant beaucoup.

Ton éducation autour de l’architecture joue forcément dans ce projet non ?
C’est sûr que je suis sensible aux éléments d’architecture contemporaine que je vais trouver sur les lieux, la médiathèque Diderot par exemple. On a focalisé sur des trucs qu’on a aimés.

 

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Pour ce qui est des traitements tant sonores que visuels, avez-vous utilisé des nouvelles choses ?
Au niveau du son, pas vraiment. Depuis le stage Trempo à Berlin que j’ai fait en 2011, j’utilise Ableton Live et je n’arrête pas de découvrir de nouvelles choses, c’est un puits sans fond. Je suis plus dans l’évolution que dans le nouveau. Pour l’image, et pour des raisons de timing, on ne s’est pas pris la tête avec les autorisations du droit à l’image. On a donc, au-delà de l’intérêt esthétique, rendu les personnes filmées anonymes et floutées. Il y a l’envie permanente dans nos collaborations avec Seb défendre les choses moins réelles, de les décontextualiser. Il utilise deux logiciels, Resolume et Millumine, un peu à la manière d’Ableton. Ce sont des logiciels à utiliser comme des séquenceurs, ça permet beaucoup de choses. Il a une série de commandes sur lesquelles il peut agir en direct, le RGB par exemple, ou le Bruit, une sorte de disto de l’image, et improvise souvent.

Pourquoi avoir mis treize lés de lin en guise d’écran ?
Le nombre se rapporte à la largeur voulue, cette largeur par rapport à moi, il y a une courbe qui m’enveloppe. L’idée des hauteurs de lés variables nous est venue site à une expo qu’on a vu tous les deux à Bilbao au Musée Gougenheim, le travail intitulé « La matière du temps » d’un plasticien qui s’appelle Richard Serra. Mais les lés du milieu sont plus courts que ceux des côtés, on a dû tenir compte de cela et cadrer les images de manière un peu décentrée. Quant à la matière, le lin, c’est une matière très chaude, qui réagit bien à la lumière, ce n’est pas un écran blanc, c’est un blanc cassé qui donne un léger grain.

 

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Est-ce que l’image va devenir quelque chose de nécessaire pour toi pour la suite ?
Non, je pense que je vais revenir à quelque chose qui sera entièrement musical. Et en même temps, nous n’en sommes qu’au début de l’aventure Phonorama subjectif, j’aimerais bien en faire une petite série. L’image peut donc revenir mais dans un cadre défini.

Toi qui a une approche de la musique assez axée sur la recherche des sons notamment électronique avec une base d’instrument très acoustique, as-tu des références de travail autour de ce mix, et sais-tu vers quoi tu veux aller ?
J’ai plutôt l’impression que je ré-interroge mon travail sur chaque nouveau morceau sans savoir vers quoi je vais tendre. Pour ce qui est d’artistes référents, j’aime beaucoup le travail de Nils Petter Molvær, de Bugge Wesseltoft, Apparat ou encore Amon Tobin.



JACK IN MY HEAD (2016) _ Phonorama Subjectif #2 _ Rezé (les ados) from Dékalage on Vimeo.

 

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Rédactrice en chef de ce site internet, chargée d'info-ressources à Trempo. Passionnée évidemment par la musique, toutes les musiques, mais aussi par la mer et la voile, les chevaux, la cuisine et plein d'autres choses.

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