QUAND J’ÉTAIS PETIT, J’ÉTAIS UN JEDI

Ce soir-là, la proposition de Jonathan Seilman est des plus ambitieuses : s’appuyer sur un film méconnu et fondateur de Brian De Palma, « Dionysus in ’69 » (qui documente en direct une performance folle de la troupe du Performance Group à New York en 69) pour le digérer/réinventer dans un dispositif immersif mêlant musique live, danse et vidéo dans la salle maxi de Stereolux. L’idée force de ce spectacle est de faire se télescoper ce témoignage libertaire et chamanique des sixties avec notre monde actuel, près de 50 années plus tard.

Le film de De Palma a été tourné dans l’intention de capturer « un moment unique qui ne se reproduirait pas de sitôt », soit une lecture dionysiaque des « Baccantes » d’Euripide. Pour ce faire, De Palma a choisit de filmer, d’un côté, la troupe en action, et de l’autre, les réactions du public électrisé, avec la méthode du split-screen (diffusion des deux captations en même temps sur deux écrans distincts). La fin des années 60 est l’ère de l’émancipation des codes, de la libération sexuelle et de l’expérimentation tous azimuts : on retrouve tous ces ingrédients dans les images de De Palma et cette pièce participative où troupe et public sont mêlés, comme en fusion.

 

 

Dans la version 2017, on retrouve les deux écrans où est diffusé le film original, un troisième sur lequel un vidéaste intervient en direct, le duo Seilman-Bellinsky qui vient en pointillé et en quadriphonie ajouter des tonalités orageuses à l’ensemble ainsi qu’un duo de danseurs (Bryan Campbell et Lucie Collardeau) venant incarner le tandem original (Dionysos/William Finley et Penthée/William Sheperd). Le public est entouré de ce dispositif. Sorte de mise en abîme de la scénographie originelle.

Respectant la dramaturgie du film, qui débute par l’échauffement des protagonistes, Bryan Campbell et Lucie Collardeau se préparent alors que le Performance Group fait de même à l’écran. Quand le combo Seilman-Bellinsky envoie ses premières nappes et que les danseurs quittent le ring central pour investir chaque recoin de la salle, le public est saturé de stimuli (visuels, sonores, sensoriels…) et, pourtant, ce qui frappe assez vite le spectateur lambda, c’est le grand décalage entre l’électricité orgiaque donnée à voir dans le film de De Palma et l’expérience que l’on est en train de vivre, plutôt passive et introspective, dans un environnement policé et normalisé. Un demi-siècle a passé et l’époque épique s’est muée en époque mélancolique.

 

 

Ce qui continue à faire spectacle, ce sont les images de De Palma, auxquelles Seilman-Bellinsky sait donner la part belle en se mettant parfois en retrait ou, au contraire, en en appuyant la force avec des salves psychédéliques inspirées et puissantes. Les musiciens se posent à juste distance de l’œuvre. Pour le reste, l’écran dédié à l’intervention in situ du vidéaste mélange parfois images du film et captation live de la sage audience, ce qui accentue l’effet de contraste entre les deux époques. Les danseurs, sans doute dans l’envie d’éviter la surenchère, semblent les ombres tempérées, presque entravées, des comédiens fous et libres que l’on voit sur les écrans diffusant le film.

Peu avant la fin de la représentation, le personnage de Dionysos se mue en un parodique tribun politique, tyrannique et populiste, la transe vire au cauchemar et la boucle est bouclée avec notre réalité de 2017 : nul doute que les activistes révolutionnaires de Greenwich village rêvaient à tout sauf à un monde tenu par des Trump et autres Poutine…

 

Photos Dionysus in 69 Project – Stereolux

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