Après le rock, les musiques de tradition orale ! Rock in Laval avait bien accaparé Nicolas Moreau, chargé de missions artistiques au sein de Mayenne Culture. Cette fois-ci, l’association s’apprête à publier un livre-disque, Ecoutez gens de Mayenne, qui agrège un recueil de 364 pages à deux CDs compilant 70 chansons. Retour sur ces musiques, ce qu’elles racontent, et les éditions à venir avec Nicolas Moreau.
Photo bandeau : Prosper Meignan (violon) et Jean Monnier (accordéon) à Cossé-le-Vivien ©Denis Le Vraux
Que représentent les musiques traditionnelles en Mayenne ? Présentent-elles des spécificités propres ?
Jusqu’au début des années 80, contrairement aux départements voisins, les musiques de tradition orale en Mayenne n’avaient fait l’objet d’aucune enquête approfondie. Ça n’est qu’en 1981 qu’une importante collecte a été menée par l’ethno-musicologue François Redhon, aidé par une équipe bénévole. L’enquête a duré plus de deux années, permettant d’enregistrer près de 1700 pièces, chansons, airs et témoignages. Ce qui dit la richesse et la diversité de ce que les collecteurs ont pu trouver alors. François Redhon disait compter à l’époque plus d’accordéoneux ou de violoneux dans le département que dans toute la région Basse-Normandie… La pratique du violon, qui disparaît un peu partout à partir du début du 20e siècle, a perduré par exemple très longtemps dans certains territoires en Mayenne… Le répertoire qui a été collecté en Mayenne appartient à un fonds datant du 15e au 19e siècle, que l’on retrouve partout en France, en Bretagne comme en Vendée, et même au Canada ou en Belgique… Transmises de façon orale, ces musiques et chansons n’ont cessé de circuler, de voyager et de se transformer au fil des générations et des transmetteurs, au gré des interprètes et des régions où elles se sont ancrées…
Y-a-t-il des musiciens ou chanteurs enregistrés entre 1980 et 1982 qui seraient encore vivants ?
Les musiques de tradition orale, en Mayenne comme ailleurs, ont entamé leur déclin à partir des années 1920, avec la disparition progressive de la société traditionnelle à laquelle elles étaient liées. La plupart des personnes rencontrées lors du collectage mené en Mayenne sont nées au début du 20e siècle, et avaient donc alors entre 60 et 80 ans. Quelques-unes sont encore vivantes. Comme l’accordéoneux Alfred Guais, qui d’ailleurs a transmis sa passion à ses petits-fils Clément et Camille Guais, musiciens et facteurs d’accordéon diatonique à Château-Gontier ! Ils appartiennent, comme les musiciens de Blanche Épine ou d’autres, à un petit réseau folk, pas toujours visible mais actif sur le département, où sont très régulièrement proposés bal folk, stages, ateliers…
La classe de CM1 de l’école élémentaire de Lassay-les-Châteaux en studio le 31 mars, pour l’enregistrement du livre-cd Avant le printemps.
Quels sont les propos des chansons de cette époque ?
Difficile de résumer la très grande diversité des sujets abordés en quelques mots. Les chansons et musiques traditionnelles étaient étroitement liées à la vie quotidienne et au travail, qu’elles accompagnaient. Certaines chansons sont spécifiques à une période de l’année (chansons de Noël, chansons de quête que l’on chantait au 1er mai…), un évènement ou un rituel : chansons de conscrits liées au service militaire, chansons de noces, chansons pour faire la fête, danser, pleurer la mariée… Le mariage constituait un évènement majeur pour ces sociétés communautaires rurales. D’autres chansons étaient chantées indifféremment aux battages, à la veillée, etc. Beaucoup s’expriment par sous-entendus, double-sens, allusions ou symboles comme dans les contes. Et parlent d’amour, de guerre, de religion, de justice… Souvent de façon impertinente, expressive et drôle. J’aime beaucoup par exemple le répertoire des chansons de maumariées, qui mettent en scène des jeunes femmes « mal mariées » à des vieillards, dont elles se moquent et qu’elles trompent allègrement…
Aujourd’hui, Mayenne Culture réédite un livre et des disques publiés à l’issue du collectage, et mène un projet d’action culturelle autour de ce patrimoine, avec à la clé un livre-disque et des concerts associant enfants et musiciens pros de l’Ensemble Instrumental de Mayenne. Pourquoi ces actions ?
Le recueil de chansons et les deux doubles vinyles publiés entre 1981 et 1983 auraient mérité une meilleure exposition, et surtout ne sont plus disponibles aujourd’hui. Il nous semblait nécessaire de rendre ce travail à nouveau accessible. Avec l’appui de l’équipe de l’OPCI, nous publions donc un livre-cd, Écoutez gens de Mayenne, qui rassemble l’ensemble des publications produites à l’issue du collectage (recueil, disques vinyles, articles…), complètement révisées et actualisées. Ce livre de 364 pages, illustré d’une centaine de photos, est accompagné de deux disques cd, compilant près de 70 enregistrements issus du collectage.
En complément, nous souhaitions donner une lecture contemporaine de ce patrimoine. Au sein du collectage, la musicienne Anne-Laure Guenoux a choisi 14 chansons, qu’elle a eu l’entière liberté de revisiter et d’adapter pour chœur d’enfants, quatuor à cordes et trio jazz. Depuis septembre 2015, les enfants de huit écoles du département apprennent ces chansons avec leurs enseignants et les musiciens-intervenants des conservatoires de leurs territoires. Tous les chanteront sur scène, accompagnés des musiciens de l’Ensemble instrumental de la Mayenne, lors de quatre concerts en juin 2016. Enfin, les élèves de trois classes ont enregistré ce répertoire en studio, en vue d’un livre-cd, intitulé Avant le printemps et illustré par Laurent Moreau (auteur de plusieurs livres jeunesse chez Actes-Sud, Hélium, Gallimard Jeunesse…).
Avez-vous imaginé associer des artistes qui seraient issus du jazz ou des musiques amplifiées ?
Les chansons d’Avant le printemps s’éloignent largement des sonorités traditionnelles pour prendre des couleurs rock fifties, folk, jazz… ou flirter avec les musiques du monde : maloya de la Réunion, musiques caribéennes… Les musiques traditionnelles se prêtent bien au jeu des relectures et du métissage. Le collectage réalisé en Mayenne pourrait constituer une matière première formidable pour un beatmaker ou un musicien électronique à l’affût de samples par exemple … À suivre.
Quelle est ta principale satisfaction à porter ce projet ?
Nous sommes heureux tout d’abord de pouvoir enfin mener à terme ce projet auquel nous réfléchissons déjà depuis plusieurs années. En fait, depuis le livre et l’expo Rockin’Laval, qui s’intéressaient à l’histoire du rock à Laval, et qui comme ce nouveau projet, constituaient un témoignage unique d’une histoire et de pratiques sociales et culturelles, dont des pans entiers risquaient de s’effacer si personne ne s’y intéressait. Satisfaits aussi, en temps qu’amateurs et défenseurs de l’objet « livre », de pouvoir éditer deux beaux ouvrages, dont on a taché de soigner le fond comme la forme, des illustrations aux choix de mise en page ou de papier…
Toutes les informations et commandes en ligne (à partir du 8 juin) sur le site de Mayenne Culture.
