Si l’un, Gabriel Saglio, mène depuis treize ans son groupe Les Vieilles Pies sur toutes les routes et les scènes de France et de Navarre, l’autre, Julien Chirol, a débuté sa carrière avec Sergent Garcia avant de devenir l’un des membres fondateurs du Sacre du Tympan puis de virevolter avec application dans les métiers de side-man avec son trombone (Feist, Bénabar, Micky Green, Saul Williams…), compositeur, arrangeur, réalisateur, éditeur et j’en passe…
Aujourd’hui, ils sont ensemble, dans un studio à Trempolino, afin que le second écoute et conseille le premier pour la préparation des orchestrations du prochain disque de Gabriel Saglio et Les Vieilles Pies. En effet, Gabriel a conscience d’être au charbon depuis des années, enchainant tournées et enregistrements avec son groupe et il a besoin d’un regard, ou plutôt d’une oreille extérieure pour aborder ce nouvel enregistrement. Ils ont commencé par élaborer ensemble l’orchestration d’une chanson que Gabriel n’avait pas encore proposée aux musiciens du groupe. Et Julien a mis en œuvre son savoir-faire de réalisateur et d’arrangeur pour accompagner cette élaboration.
Photo bandeau : Gabriel Saglio & les Vieilles Pies avec Julien Chirol à Trempolino © DR
Gabriel : On a souvent enregistré nos disques dans la continuité du live, rejouant sans y réfléchir ce que nous avions rôdé au fil des concerts. Mais j’ai éprouvé le besoin de rompre avec cette manière de faire. Même si c’est toujours bon d’enregistrer une rythmique en direct.
Julien : Tout à fait, c’est certainement plus vivant. Ainsi, il y a de l’interaction entre les musiciens. On ne joue jamais de la même façon quand on enregistre une piste seul ou quand on est dans « l’interplay » avec d’autres auxquels on réagi.
Gabriel Saglio et les Vieilles Pies avec Julien Chirol – studio Trempolino © DR
Alors, prônerais-tu un enregistrement entièrement live ?
J : Pas nécessairement. Mais il faut comprendre qu’on ne fait pas la même chose quand on s’écoute 10db au-dessus du volume du reste de la musique. Il y a pourtant un piège au live. Si je fais un parallèle avec le cinéma et le théâtre, dans l’un on joue subtilement sur les émotions et les expressions, car il y a la possibilité du gros-plan et le recours au cadrage, alors que dans l’autre, tous les gestes doivent être amplifiés, accentués au-delà du naturel pour être perçu par les spectateurs éloignés. C’est pareil pour le jeu musical en scène vis-à-vis de celui du studio. Nul besoin ici d’accentuer autant les effet et d’appuyer le son. D’ailleurs, jouer fort et très dynamique mènera à une déformation plus forte du timbre, qui par ailleurs est appauvri par les compressions successives imposées par le processus d’enregistrement. Cela commence dès qu’on fait passer le son dans un micro et son transfo et ça continue dans toutes les phases de la fabrication et de la diffusion. Alors, il faut travailler sur un registre dynamique différent de celui de la scène, plus restreint.
Ainsi, sur la chanson que nous avons ébauchée, il a fallut « faire de la place » pour les sons. Marcel Duchamp disait « En art, il ne faut pas faire, il faut choisir ». La matière première luxuriante que peut proposer un groupe uni et rôdé comme Les Vieilles pies a besoin d’être triée et agencée.
Gabriel Saglio et les Vieilles Pies avec Julien Chirol – studio Trempolino © DR
Ainsi, on parle d’arrangement mais personne n’a écrit la musique qui sera jouée. L’arrangement se fait plutôt « sur le tas », non ?
J : Dans le métier, on parle souvent d’arrangement pour évoquer un travail d’écriture pour des musiciens qui auront à lire et à reproduire. Mais, même dans ce cas de figure, l’interaction avec les participants à une séance, de musique de film par exemple, qui est une musique très contrainte par les images, peut conduire à modifier, réécrire ou seulement laisser jouer des évolutions de la matière écrite initiale. Avec Gabriel, nous avons un groupe qui a l’habitude de conjuguer les propositions des uns et des autres. Mon rôle est facile ici, n’ayant ni histoire commune ni projet au-delà de cette rencontre avec eux, je vais leur dire tout ce que je perçois et ce que je trouve intéressant ou non dans leurs propositions.
G : Alors que nous avons installé beaucoup de manières de faire réflexes, dues à notre habitude, notre demande vient probablement du besoin de contrecarrer nos routines. Dans le disque à venir, nous avons laissé de côté certains aspects de notre musique comme les références Klezmer, pour nous concentrer sur des moods plus afro ou hip-hop, comme dans le morceau sur lequel nous travaillons actuellement avec Julien. Mais nous n’en sommes qu’au début, alors au travail !
Pour quelques jours encore, ils seront dans le studio de réalisation de Trempolino, avec l’assistance attentive de Sébastien Condolo, pour poursuivre ce dialogue fructueux.