PASCAL RIFFAUD, L’UNDERGROUND S’EXPRIME

Pascal nous a quitté le 24 juin dernier (2017), et Cécile Arnoux de Trempolino m’a proposé d’écrire un texte qui évoquerait son parcours de musicien, en premier lieu parce que, quand j’ai appris la nouvelle, je me suis enflammé sur l’importance de son travail dans la construction spécifique de la scène musicale nantaise !!

Photo bandeau : Aalpes, concert à Genève – Julien Amouroux

 

Les mots me manquent pour ce genre d’exercice, et je m’excuse par avance de la subjectivité de mon propos mais je pense que Pascal aurait mérité que son travail soit davantage reconnu, car il aura grandement marqué Nantes, faisant trembler La Belle Endormie. En avril 2014, j’avais rédigé un papier dans la revue Magic sur le dernier long format de Aalpes, Double, son projet ambiant shoegaze. J’en avais même fait le focus du mois de la rubrique sur « les actualités souterraines françaises ».

 

 

A cette occasion, le titre disponible sur le sampler numérique mensuel de Magic, Colvert, avait bien cartonné, preuve en est ici même. D’ailleurs Double, construit sur des panoramas sonores et des nappes de distorsions et édité par le label Ovvk recordings est toujours disponible sur ce bandcamp en streaming gratuit pour ceux que cela intéresse ! Au-delà du son, le design visuel et le concept entourant Aalpes apparaissent comme particulièrement soignés, et cela s’explique notamment par le fait que Pascal Riffaud était professionnellement Architecte, intéressé donc à la fois par les questions esthétiques et par celles de l’espace matériel. Mais si sa carrière d’architecte est bien connue (à travers l’agence Block ou ses enseignements en école d’Architecture à Nantes ou à Angers), on connait moins son importance au sein de la scène indépendante nantaise de ces vingt-cinq dernières années, en particulier dans le domaine de la musique noise. Il est ainsi plus difficile de percevoir la convergence existante entre sa démarche plastique et sa démarche musicale, qu’il articulait pourtant de manière très cohérente et réfléchie.

Pascal, je l’avais rencontré en 1992, au moment où My Bloody Valentine et l’émergence du shoegazing et de la noisy pop anglaise marquaient la nouvelle génération nantaise (le concert exclusif de Lush et Pale Saints de 1990 dans la cité des Ducs n’étaient pas étrangers d’ailleurs à cette émulation). Jeune étudiant, Pascal avait monté le trio Super Nova Crashing Impact, que j’étais allé voir en répétition à Trempolino parce que leur batteur, Denis Brillet, jouait aussi à l’époque avec le groupe dans lequel j’étais bassiste, Crash.

 

Drum Drum, concert au Lieu Unique – DR

 

Mais son truc ne se limitait clairement pas à l’indie pop… Il voulait aller plus loin. Contrairement à la plupart des musiciens de la scène, il n’envisageait pas la musique indépendamment d’une dimension d’expérimentation et de recherche. Je me rappelle qu’il était toujours disponible pour discuter, et de ses positions radicales mais cohérentes et stimulantes, lorsqu’il disait que le groupe Ride, dont on adorait l’album Nowhere, l’intéressait lui uniquement pour son tout premier EP, celui avec des roses en couverture, qui contenait Chelsea Girl et surtout Drive Blind… et puis s’est tout. Après pour lui, c’était juste de la répétition sans idées neuves…

A Nantes, on le percevait comme membre de la team des étudiants en architecture. Ni aux Beaux-Arts, ni en fac de sciences humaines donc, mais jamais non plus très éloigné de ces deux pôles. Les étudiants en architectures, ils connaissaient Glenn Branca et trippait sur la scène no wave de New York, et, contrairement à nous, étudiants en fac, savaient ce qu’était un Happening ou une Performance. A l’école d’architecture, il entra en contact avec Romain Rousseau, de trois ans son aîné, une figure du rock expérimental nantais, avec sa structure moreXorganiZactions. Ils montèrent l’impressionnant groupe Ground, qui débuta vers 1993. Plus tard, il fut aussi à l’origine de l’interprétation de 100 Guitars de Rhys Chattam au Lieu Unique, ou encore du projet électronique Drum Drum, en compagnie à nouveau de Denis Brillet, devenu son collègue architecte au sein de l’agence Block (avec Benoît Fillon).

 

Ground – Fête de la Musique, Nantes, 2014 – DR

 

Mais pour bien comprendre sa démarche, il faut ajouter que, jeune architecte à la fin des années 1990, il fut membre de l’association qui avait investi sur l’Ile de Nantes alors en friche le Blockhaus DY 10, boulevard Leon Bureau. Je me rappelle que ce petit collectif organisait régulièrement des soirées dans les friches industrielles des chantiers navals (La Fabrique à Glace, Le Hangar à Bananes…), quitte à les squatter de manière éphémère – ou d’autres fois pour les réhabiliter – avant que les politiques culturelles locales n’en face « l’Ile de Nantes ». Je me souviens avoir fréquenté en particulier les annuelles « Nuits de la reprise » où l’on croisait les scènes pop (Philippe Katerine à la batterie, Dominique A à la guitare…), jazz et des artistes bruitistes. Du pur underground !!

Cet intérêt pour les constructions et les espaces et leur rapport au son s’accompagnait d’un investissement de lieux stratégiques de la contre-culture, comme le disquaire indé Black & Noir, où je me rappelle avoir acheté au milieu des années 1990 plusieurs des productions de Pascal Riffaud en cassette, avec des petits livrets photocopiés. Ces dernières années, outre Aalpes, creusant son sillon, Pascal avait monté avec quelques amis, dont le musicien indé Jimmy Arfosea, également graphiste et boss du label Ovvk, et Camille Michel de Unterdecke le projet Extrême Shoegaze, qui s’exprimait notamment lors des soirées 30 minutes au Blockhaus DY10 (celle-ci est en ligne ici).

 


Aalpes, concert à Genève – Julien Amouroux

 

On ne peut terminer cet hommage sans signaler que plusieurs titres (dont celui-ci) de Extreme Shoegaze avec Pascal ont été récemment mis en ligne par Ovvk Recordings, et qu’un titre tribute In Memoriam Aalpes a également été conçu par ses proches. Pascal Riffaud n’est plus parmi nous, mais les demi tons et les « notes fantômes » (Brian Reitzell) des murs de guitare de Extreme Shoegaze, tout comme ses gestes architecturaux font que la scène nantaise ne l’oubliera pas.

 

 

 

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