Quand le jazz est là, la syntaxe le suit pas à pas. Ou bien les deux avancent de concert. Alors les mots fusionnent avec les notes bleues pour ne faire plus qu’une lave incandescente sublimant les sons, qu’ils soient humains ou de l’instrument. Qüntêt, projet créé par Jean-Louis Pommier, (en interview ici-même), tente l’aventure en invitant la rappeuse américaine Desdamona et en se mettant lui-même à l’écriture et au slam. Monsieur Pommier, qu’on ne présente plus, référence française du trombone, de même que ses complices de Qüntêt, a réussi l’exercice à merveille, portant la parole sur le souffle des cuivres, soulignant, incarnant les humeurs des slameurs jusqu’à en peindre leurs sentiments. Les mots en cascade de Desdamona, slameuse à la voix mature, enveloppe ses angoisses dans une gangue au grain de voix qui rassure et adoucit cet inventaire à la Prévert d’états d’âme, de sentiments plus ou moins identifiés entre peur et espoir, inquiétude et certitude. Et les hommes aux cuivres d’or se louvoient dans ce dédale, soulignent, accentuent ces rêves éveillés. En écho, comme une balance, J-L Pommier promène sa voix désinvolte teintée de l’accent grave de l’homme d’expérience, habile à maîtriser les mêmes questionnements, à poser les mêmes tourments sur ces tourbillons de cuivres, mais à en exprimer la relative importance sur sa vie. Cette trame tissée par les mots, les musiciens de Qüntêt l’adoptent avec gourmandise, malaxent les phrases, rajoutent leur grain de sel aux cristaux étincelants, et la magie du jazz alliée au rap agit à faire lever une belle pâte dorée comme un tuba (celui de François Thuillier) qui adopte le rôle de basse comme une seconde nature. Trombone, saxo (Alban Darche et Rémy Sciuto), et trompette (Alain Vankenhove) enjolivent l’oeuvre, révélant la moindre parcelle des sentiments de ces mots en évidence, poussant parfois jusqu’à l’ironie dans le phrasé (Un état intermédiaire). Aux percussions, Christophe Lavergne conduit avec beaucoup de justesse le battement de cette poésie existentielle. Parfois en pleine agitation, (You got to keep quiet), parfois caressé par le velours du trombone (Education physique), cet opus se termine curieusement par un decrescendo du volume jusqu’au silence comme pour nous inviter à prolonger l’oeuvre avec nos notes et avec nos mots. Brillant.
Photo bandeau : Qüntêt © Anabelle Tiaffay