QÜNTÊT : EN TÊTE-À-TÊTE

Qüntet en a plus d’une, tête. Le projet a évolué du trio au septet, les dernières « recrues » étant le tubiste François Thuillier et la slameuse américaine Desdamona. Toujours aussi affranchi et aventureux, le groupe sort un nouvel album sur le label Yolk, disque qui marque un virage certain, celui de l’intégration des mots. Rencontre avec la tête de Qüntêt, Jean-Louis Pommier.

Toutes photos : Jean-Louis Pommier & Desdamona © Annabelle Tiaffay

 

Qüntêt souffle ses 18 bougies cette année, Qüntêt est majeur ?
Parmi mes groupes fétiches, il y a le Quartet de Gerry Mulligan et le Quintet de Dave Holland. A l’époque, j’avais très envie d’une formation sans instrument harmonique. Cela induit un mode d’écriture qui oblige de tracer des lignes mélodiques fortes pour chacun, et de construire l’harmonie par l’entremêlement de ces lignes. Il en découle une forme de jeu et d’écoute dont je raffole. J’ai, pendant ces années, creusé ce sillon que ce soit avec le Qüntêt ou le LPT3 avec François Thuilier et Christophe Lavergne. Dans cet album, le troisième du Qüntêt, j’ai le sentiment que cette forme d’écriture est devenue un réel outil personnel. Une majorité alors pourquoi pas.

Vous avez lancé la création avec Desdamona l’an passé, quelle était l’idée ? Pourquoi intégrer du chant, et pourquoi Desdamona ?
Il y a quatre ans, j’ai tenté l’expérience avec un slameur français et suis resté sur ma faim. Les textes étaient de moi, mais le slam ne supporte pas beaucoup que vos propres mots sortent d’une autre bouche. Le français aussi me laissait un goût d’insatisfaction, notamment pour la pulse, dans la bouche. J’ai donc cherché un slameur anglais ou américain pour la fluidité et la pulse. Puis, l’élément féminin est devenu un critère de plus en plus prépondérant, et j’ai, par l’intermédiaire d’une amie, découvert Desdamona. Elle est instantanément devenue la personne avec qui je voulais faire ce projet. Le titre Mots Croisés était déjà posé sur l’idée, mais avec une slameuse américaine, se croisaient les genres, deux cultures, deux courants musicaux, deux langues. Le concept a tout de suite pris de l’épaisseur. Je suis venu au slam plutôt qu’à la chanson parce que je voulais avant tout que le mot intègre une de mes créations. Je chante depuis longtemps dans des bars, mais je reste assez timide pour chanter sur scène. Le slam m’est apparu comme un « véhicule » plus abordable pour mes maigres moyens de chanteur. Et puis, on y accède comme on veut, il n’ y a pas la pression du chant. Juste la notion de débit, et surtout, j’avais une idée assez précise de comment je voulais mettre des textes en musique. S’ajoute à cela le fait que Desdamona ait rapidement accepté qu’on travaille ensemble, cela m’a  beaucoup libéré sur l’aspect du flow. Sa culture hip hop et littéraire amène une pulse parfaite pour la musique et des textes très profonds. Nous avons travaillé librement autour de sujets dont j’avais envie de parler, à savoir des préoccupations « essentiellement » humaines, comme l’amour, la place du corps, la mort et ce qu’on en fait, les lois qui nous restent nécessaires même si elles entretiennent aussi un sentiment d’injustice, le calme intérieur (ou pas). J’ai donc proposé les thèmes, et pour chacun, j’ai travaillé à des formes ou des couleurs qui soulignaient ces thématiques.

 

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Aurait-ce été possible avec une chanteuse française ?
Non, je ne pense pas, j’avais besoin d’une présence anglo-saxonne que seule une Anglo-saxonne porte. Mais je ne me suis pas posé la question. Il y a sans doute des chanteuses françaises qui pourraient apporter ça. 

Que viennent apporter les mots à l’improvisation ?
On oublie trop souvent que le premier contact que l’on a avec le mot, c’est le son. Il s’écrit, mais comme pour la musique, l’écriture ne fait que porter le son. Il y a l’interaction du sens qui apporte une nouvelle dimension. Le son et le sens sont de nouveaux matériaux, et l’improvisateur est friand de nouveaux matériaux. Alors, je dirais que cela apporte un enrichissement.

De quoi est-il question dans les textes de Desdamona ?
Ses textes déclinent librement les thématiques des morceaux. Tension palpable existait avec les mots et Desdamona a écrit sur cette thématique de la tension. How many times/last inkling est comme un parcours initiatique du mot à l’intérieur de nous. Complicated day parle au travers du prétexte d’une journée compliquée notre rapport au temps. Physical mood/ At the Wake parle d’un rapport au corps.  On retrouve toutes les traductions sur mon site.

 

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Cette nouvelle version de Qûntet voit aussi l’arrivée du tubiste François Tuilier, pourquoi ?
La réponse est dans la question : parce que François Thuillier. On se connait depuis 20 ans mais on travaille ensemble depuis 10 ans. Je voulais un gros son de basse et un groove infaillible. Lorsque l’on quitte la basse électrique ou la contrebasse pour aller vers une basse soufflée, on gagne dans les possibilités d’arrangements et de mix entre les voix, mais on perd sur certains aspects de la pulse. Le plus flagrant c’est la walking, cette ligne de basse continue qui donne l’impression d’une marche inexorable. François apporte la grosseur, le groove et c’est un improvisateur hors-pair. Avec lui, je gagne et je ne perds rien. Je précise aussi l’arrivée de Rémi Sciuto qui remplace Benjamin Dousteyssyer, ce dernier ayant souhaité se recentrer sur des projets plus personnels. Rémi n’est pas en reste côté pulse lorsqu’au sax basse ou baryton il assume les lignes de basse. Et il joue (super bien) l’alto, les flûtes, les clarinettes et de nombreux autres instruments dont nous n’avons pas eu l’utilisation ici. Cela ouvre un large champ d’orchestration ce que je n’ai pas manqué d’utiliser. Cela me permet aussi de mixer différents sons de basse entre les saxs (Alban joue aussi du baryton) et le tuba. 

Comment considères tu ce projet-là par rapport à tous les autres auxquels tu appartiens?
C’est ce que je fais de plus personnel. Même dans les précédents disques du Qüntêt, il y a des compositions d’Alban Darche ou de Patrick Charnois. Ici, j’ai entièrement écrit la musique et le rapport avec le mot est présenté d’une façon très personnelle. Dans tous les projets, on peut toujours apporter quelque chose de personnel. On nous appelle souvent pour ça et je n’ai jamais manqué de le faire pour autant que je pouvais apporter quelque chose d’intéressant. Dans celui-ci, j’ai tout dessiné hormis bien sûr les textes de Desdamona. Une première ! C’est bien ce qui différencie ce projet des autres.

Site JL POMMIER

Rédactrice en chef de ce site internet, chargée d'info-ressources à Trempo. Passionnée évidemment par la musique, toutes les musiques, mais aussi par la mer et la voile, les chevaux, la cuisine et plein d'autres choses.

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