Le café La Ribine fait partie des trois lieux, avec Le Café du Cinéma et Le Ferrailleur, qui vont accueillir à compter de ce 1er février et cinq jours durant le festival nantais Les Nuits Sequines. Il y a quelques mois, nous avions publié une longue interview de Pull Rouge aka Nowned, organisateur des Nuits Sequines, à retrouver ici même. Cette fois-ci, la parole est donnée à La Ribine qui reçoit la soirée d’ouverture du festival le 1er février( Inaniel Swims + CQFDJ set) et celle de clôture le 5 février avec le nouveau projet de Mathias Delplanque PLY. Rencontre avec Elise de La Ribine autour de ses problématiques et plus généralement des problématiques des troquets du centre-ville…
Toutes photos – Elise Montecchio
Le Versailles puis Le Grimault, et maintenant La Ribine. Ce petit café de la rue Adolphe Moitié qui signifie en breton « chemin de traverse », sous cette nouvelle identité bretonnante, voit le jour en 2015 à l’initiative d’une parisienne de souche et bretonne d’adoption.
Une fac d’histoire à Brest puis un master pro « culture et patrimoine » à Lorient, Elise Montecchio se fait rattraper par le terrain. Elle monte un atelier de création sonore, intègre comme bénévole puis salariée l’équipe du Manège et se retrouve notamment missionnée sur le festival Les Indisciplinées. En 2008, elle arrive en terre nantaise pour effectuer un stage de production pour Hip Opsession avant d’intégrer Jet FM en 2010 pour deux ans. Divers petits boulots l’amèneront à rencontrer des gens puis à monter un projet avec un ami de l’époque. La Barricade naît en 2014. Le projet suscitera des désaccords entre associés, une gestion approximative du bruit et du voisinage. S’en suivra du temps passé au Tribunal de Commerce, pour parvenir en août 2015 à récupérer le lieu qui devient La Ribine.
Voilà pour le contexte.
« Cela devient une vraie gageure financièrement, humainement, vis-à-vis de la mairie aussi, que de proposer des concerts dans son bar. »
Autant dire que ce faux départ n’aide pas la tenancière qui aujourd’hui réclame de l’indulgence de la part de la Ville. « La Ville ne m’a jamais fait redescendre dans l’échelle des sanctions par rapport au bruit, j’ai un vrai passif alors que j’essaie de faire les choses dans les règles et que je suis pour le dialogue », dit-elle. Et de rajouter : « le lieu n’a plus rien à voir avec La Barricade, j’aime le rappeler. »
Animée par le bar, le social, les gens, Elise défend son lieu comme un lieu de rencontre, un projet qui correspond, après moults années dans l’associatif payées le Smic, à une envie d’entreprendre. À la questions sur son modèle de bar à Nantes quand elle y pose ses valises, elle répond sans hésiter « Le Violon Dingue, un lieu qui manque encore et toujours, un modèle de bistrot, qu’il faut contextualiser malgré tout. Nous sommes trente ans plus tard, les choses sont plus cadrées sur le caf’ conc’, on nous pousse à prendre la licence, la SACEM vient de pondre un nouveau forfait musical en plus de ce que l’on paie déjà ».
Au vu de ces mesures, Elise craint l’interdiction de l’artiste amateur qui joue au chapeau et qui a besoin du café pour se faire la main. « Les cafés à Nantes où tu peux jouer avec une batterie se réduisent comme peau de chagrin. Cela devient une vraie gageure financièrement, humainement, vis-à-vis de la mairie aussi, que de proposer des concerts dans son bar».
« J’aimerais que l’on reconnaisse notre travail, je pense qu’on ne fait pas n’importe quoi, on travaille beaucoup, on porte une attention particulière à nos clients à bien des égards, mais la collectivité n’entend que les plaignants qui savent pourtant qu’ils vivent à proximité d’un café. »
Adhérente à Culture Bar-Bars, elle reconnaît que le festival constitue « une belle vitrine du collectif » et que « ce même collectif revendique à raison qu’un débit de boisson est un lieu de culture. C‘est une institution sur laquelle il faut s’appuyer, mais il ne faut pas se cacher derrière le collectif et oublier son libre arbitre. Par exemple, je me méfie de la professionnalisation systématique des concerts. Avec un cadrage réglementaire, soit la déclaration systématique des musiciens par les cachets, l’obtention de la licence de spectacle, la pratique amateur en café-culture risque de disparaître. Cela ne correspond pas à la vision du bistrot que j’ai. Je souhaite pouvoir continuer à faire jouer des amateurs au chapeau, ils ont aussi besoin des troquets pour se faire la main. Je souhaite évidemment rémunérer les artistes. Des évènements comme Les Rendez-vous de l’Erdre avec une très très forte activité de bar, me permettent de me faire un petit matelas pour rémunérer les artistes. Mais la situation financière est extrêmement fragile, ça devient compliqué de payer tout le monde. »
Ajouté à cela le fait que le plan de sécurisation des Rendez-Vous de l’Erdre 2016 a exclu le Café de la Ribine du périmètre du festival, que le fonds d’aide du GIP (Groupement Inter-Professionnel Café-Culture) soit gelé depuis août 2016, Elise se retrouve dans une fragilité financière. « J’ai avancé beaucoup d’argent pensant le récupérer via le GIP, là je suis clairement en galère. Faire du concert devient contraignant et usant. Je continue par passion mais pour combien de temps ? J’aimerais que l’on reconnaisse notre travail, je pense qu’on ne fait pas n’importe quoi, on travaille beaucoup, on porte une attention particulière à nos clients à bien des égards, mais la collectivité n’entend que les plaignants qui savent pourtant qu’ils vivent à proximité d’un café. Je regrette de ne pas rencontrer les élus, mais simplement les techniciens. Les plaignants rencontrent les élus, pourquoi ne pouvons-nous pas les rencontrer ? Et ce n’est pas faute de le demander. L’interview de la plaquette Bar-Bars de Jean-Marc Laurent de Mme Rêve résume bien la situation : la gentrification du centre-ville. »
Difficile de trouver une solution, d’autant qu’Elise n’a pas sa langue dans sa poche. Elle reconnaît quelques dérapages, mais regrette un manque de dialogue, de médiation et d’accompagnement dans ses difficultés notamment vis-à-vis du voisinage. « Je ne veux pas être surveillée, je veux être accompagnée ».
Elise propose un cadre plus précis des concerts. Avoir une restriction à un concert par semaine l’a satisfait à partir du moment où elle a une liberté quant au jour où se tiendra ce concert. « J’ai bien souvent des propositions d’artistes en tournée, ils ont des day-off, çà peut tomber un dimanche ou un lundi, et ce sont de belles opportunités pour nous de faire des artistes nationaux ou internationaux, éviter la forte concurrence du week-end, et proposer des soirées en semaine qui finalement sont calmes parce que les gens rentrent tôt chez eux ».
« La vie nocturne contrecarre la peur, elle est un garde-fou, et permet d’éviter les agressions. Et puis, une ville doit vivre de ses activités y compris la nuit ».
Le dialogue n’est pas simple. Comment sortir d’une certaine impasse ? « J’aimerais que la parole du riverain soit mise au même niveau que la parole du cafetier, c’est-à-dire que lorsque les élus reçoivent les riverains, ils reçoivent les cafetiers de la même manière, voire même qu’ils nous mettent autour de la même table, et nous disent ce que l’on peut faire et ne pas faire. Les riverains seraient aussi rassurés. Il faudrait légiférer la fréquence des concerts, les formats des concerts, que les choses soient beaucoup plus claires. On est trop fragilisé par la parole des plaignants ».
Au-delà de son propre établissement, Elise constate un centre-ville qui se vide le soir, et qui devient dangereux. « Je traverse la ville à vélo la nuit pour rentrer chez moi bien souvent à 3h du matin, j’avoue que je suis bien souvent flippée. La vie nocturne contrecarre la peur, elle est un garde-fou, et permet d’éviter les agressions. Et puis, une ville doit vivre de ses activités y compris la nuit. Je ne m’oppose pas à la mairie, je veux militer avec la mairie pour défendre une programmation culturelle de qualité dans les troquets du centre-ville et pas uniquement dans les bars du Hangar à Bananes ou dans les SMACs. J’ai besoin de faire des concerts. Le reste du temps j’ai des clients mais pas tant que ça. S’il n’y a pas de concerts, je ferme le lieu, tout simplement ».
Le débat autour de la cité et des cafés-concerts est plus que jamais d’actualité. La Ribine revendique la nécessité du dialogue, et sa place dans la vie culturelle nantaise. Affaire à suivre…
En attendant, Les Nuits Sequines démarrent ce 1er février, et à La Ribine !