Sorti le 6 février dernier, Maestria, nouvel album de Scoop & J.Keuz est un véritable chef d’oeuvre tant dans les pièces musicales qu’il assemble que dans l’habileté du discours ou dans la technique vocale qu’il expose. Le 22 février, invité par le festival Hip Opsession, le duo désormais nantais dévoilera des nouveaux morceaux aussi puissants que subtils. Rencontre avec J. Keuz qui observe plus qu’il ne condamne…
Photo bandeau : Scoop & J.Keuz – Mozpic’s (https://www.facebook.com/mozpic)
Scoop & J.Keuz, un duo, une affaire de copains ?
On a démarré la musique ensemble, au collège, dans la région de Cosne sur Loire dans la Nièvre, avant d’évoluer dans des collectifs divers et variés. Scoop & J.Keuz sont nos pseudos depuis le début, Scoop, de son côté, a toujours évolué dans la musique. Quant à moi, j’ai fait un gros break entre 2006 et 2012. Au moment où je suis ressorti de mon antre, j’ai refait appel à lui, parce que c’est mon ami et que suis vraiment très fan de ses productions. Il est un peu touche-à-tout, se passionne pour le hip-hop, mais aussi le trip-hop, le dub, il collabore à beaucoup de projets et fait aussi un peu de son live pour des groupes, Neurococcyx notamment. Il s’occupe aussi des mixages et masterings des disques qui sortent sur Warooba notre label. Quant à moi, je suis essentiellement rappeur, un peu producteur, notamment sur ce disque à sortir. J’écris depuis toujours. On est vraiment très proches, c’est le fondement de notre groupe, on a un regard sur la musique qui est le même quasiment, nos goûts sont proches.
Et dans cette grande famille musicale qu’est le hip-hop, vous vous situez à un endroit précis ?
Justement non. On est à cheval entre un rap à textes, travaillé, et des choses plus instinctives, lâchées, un peu egotrip. Et on n’a aucun problème avec çà. On ne veut rentrer dans aucune case du rap français actuel soit du rap dit-conscient, c’est à-dire chiant et moralisateur, soit du rap ego-trip où se met tout le temps en avant, inintéressant.
Vous cherchez l’entre-deux de cela ?
Le rap est une musique de fête à la base. On n’est pas censé avoir un message non plus tout le temps et faire la morale, on est responsable que de nous-même. C’est le système qui a voulu çà, les porte-paroles des ghettos, les jeunes. A la base, le rap doit être un amusement. On peut délivrer des messages mais ce n’est pas une nécessité absolue.
Mais vos textes sont des messages, décrivent une réalité, témoignent d’une certaine militance ?
C’est compliqué. J’aime vraiment les deux extrémités, le sérieux et le fun. J’adore Casey, Rocé, le rap egotrip, avec oui une préférence pour les choses très travaillées au niveau des textes, engagés ou pas d’ailleurs, ce n’est pas le problème. Je ne veux pas m’engager dans un rap pour adultes, mature, même si de fait, c’est un peu le cas. On n’est pas dans l’engagement.
C’est plutôt de la dénonciation ?
C’est plus un regard critique. Si on écoute vraiment mes textes, il n’y a aucune condamnation. Je n’émets pas d’avis, je décris une situation, comment les choses se construisent, le complexe financio-industriel maffieux français et européen. Sur un morceau, çà doit rester de la musique et pas un discours politique. Je déteste les morceaux qui disent ce qu’il faut faire, sur qui il faut cracher. J’ai mes convictions, si on écoute bien, on les cerne à peu près, mais je ne suis pas un apôtre anticapitaliste ou je ne sais quoi. Sur le disque précédent, j’ai enfoncé le clou davantage sur la religion et le retour de la morale, c’est le thème où je suis le plus concret et où j’attaque un peu plus.
Les choses dites sont quand même assez claires, mais dites de manière très habile avec des figures de style genre allégories non ?
Oui, c’est que je m’évertue à faire, travailler le texte. Sur ce disque, Scoop me backe de temps en temps, on a donc travaillé aussi la manière dont on dit les choses.
Quelle est cette technique précisément ?
Au feeling. On a enregistré chacun de notre côté, on a mis en commun et on a gardé ce qui passait bien musicalement.
Et sur la partie musicale, l’ouverture et les fusions sont assez incroyables ?
Trois ou quatre morceaux ont été composés par Scoop, j’ai composé les bases des autres tout seul. Scoop a vraiment une culture musicale impressionnante, on a les mêmes influences musicales, même s’il est plus curieux que moi. On a orienté ce disque vers la black-music, le reggae, le dub, la soul, le funk, le jazz et les musiques du monde. La musique est riche, très développée.
Comment trouvez-vous les points de jonction entre toutes ces musiques ?
C’est bien la magie du sampling. Scoop fait ça depuis 15 ans, il a une expérience, une vraie patte. Il s’inspire de choses qu’il écoute pour orienter une ligne de basse par exemple. Il a une fibre de musicien. Et puis, il y a une affaire de son, une couleur musicale. Maestria est un disque chaud, rond qu’on trouve réussit.
Il y a aussi des réminicences « musique de film » sur le disque parfois, est-ce que c’est délibéré ?
C’est paradoxal parce que je ne suis pas très cinéphile, mais quand j’entends des extraits qui me font tilt, j’ai envie de les insérer dans mes morceaux où j’ai traité le thème en question. Disons qu’on aime bien que ça fasse référence à plein de choses, on aime bien illustrer.
Maestria, ça fait référence à quoi ? A cette notion de perfection ? D’aisance ?
Ca peut paraître prétentieux, mais c’est les deux. En fait, c’est le nom de notre premier groupe, à l’époque du collège, et c’est comme un retour aux sources du son comme on l’aimait, un truc plus calme, posé. Et puis, cela correspond à l’ambiance dans laquelle j’étais lorsque j’ai composé l’album. Le précédent disque, L’acide dans les idées est tout le contraire de ça, écrit à une époque d’urgence, en 2013. A cette période, en France, émerge le complotisme sur internet, la réémergence des courants d’extrême droite, et je me suis souvent retrouvé, dans des conversations crispées. Je suis moins bille en tête, plus réfléchi sur les choses, les manières de dire ces choses et de les imager, d’où cette notion d’aisance.
Vous n’êtes pas Nantais à la base, vous avez écrit ce morceau Boulevard de la liberté, est-ce que vous avez un rapport au territoire comme c’est souvent le cas dans le rap ?
J’ai écrit Boulevard de la Liberté alors que j’habitais à Rennes. Et voilà bien un nom de boulevard qui se retrouve dans toutes les villes. J’ai pas mal bougé, je ne me sens pas représenté quelque ville que ce soit. On a voulu retranscrire une ambiance de ville qu’on retrouve à Nantes comme à Rennes d’ailleurs assez étudiante, qui se lâche, la schizophrénie de la ville de jour et la ville de nuit.
Vous n’arborez pas la couleur d’un collectif comme ça se fait beaucoup dans la culture hip-hop ?
On l’a fait au début, on a évolué dans des collectifs. Mais quand on a remit le pied à l’étrier en 2012, on est resté sur ce format duo, trio sur scène avec notre DJ. On n’a plus envie, c’est beaucoup d’énergie, c’est compliqué de gérer les égos, ça ne nous correspond plus. On a un label assez collectif, avec Neurococcyx notamment. Le label n’est pas uniquement hip-hop, il y a de la new-folk, du dub instrumental, du math-rock, du trip-hop.
Le disque sort ces jours-ci et il y a une date sur Hip Opsession, c’est le bon moyen de faire parler du disque ?
Il sort en cassette, mais elle est épuisée, en CD et en digital. On s’est calé avec Pick up pour que çà se passe en même temps, et c’est plutôt cool. Ca nous donne une belle lisibilité et on aura une date à suivre Bourges.
Quels artistes sur Hip obsession es-tu curieux de voir ?
Dj Spinna, la soirée au Ferrailleur avec Balusk, HDBeenDope et Jazz Cartier, Electrophazz, Aaron Cohen, Skyzoo, Black Milk et Oddisee.
En concert
22/02 – NANTES (Le QG) – Festival Hip opsession, 18h30, entrée libre
25/02 @ BOURGES (le Nadir) avec Kohndo + JP Manova
17/03 @ RENNES (Ferme de la Harpe)
20/05 @ BRESSUIRE (Salle Emeraude)