Programme à en faire baver n’importe quel féru de sons électro, cette première soirée consacrée à la culture musicale du XXIème siècle s’annonce brillante. Trois espaces scéniques, une douzaine de sets, du visuel en veux-tu en voilà ! Et le tout sous le regard tonnant du divin beat per minute !! Les basses sont à l’honneur, les ruptures grinçantes, les échappées mélodiques, les boucles lancinantes, et les montées aux hachures mécaniques et croissantes : ce qui nous pousse à tenir une dizaine d’heure face à des plateaux où les DJs s’éclatent, ce qui nous fait danser, sauter, taper le rythme avec nos corps : c’est l’ Électro, messieurs-damoiselles ! Ce vendredi soir, sous les Nefs de Nantes-la-Belle, dans les salles Micro et Maxi de Stereolux, Scopitone 2015 place les musiques électroniques au centre de nos désirs !
Photo bandeau – Scopitone © Morgane Lesné
Entame de la soirée avec les derniers rayons du jour. Andrea Balency entame son set avec une petite heure de retard, les bars sont ouverts, l’ambiance est calme. De petits groupes se forment, un verre à la main et discutent sans broncher. Dès que l’artiste mexicaine débute, l’attention se porte sur la scène. Une jeune femme gracieuse secoue la tête sur ses rythmiques et nous emporte avec elle, sur un son qui rappelle celui de Björk, avec des envolés progressives très agréables. Set court, gracieux et qui met doucement les spectateurs dans l’ambiance. On sent qu’elle prend plaisir à être sous les Nefs pour Scopitone ce soir. À la suite de sa prestation, The Shoes entre en scène. Et, d’entrée de jeu, ça tabasse au sens propre, les percussions lourdes ajoutées à la batterie donnent le ton : il n’est pas question de lanciner, l’heure est au mouvement ! Leur jeu de scène est travaillé, pointu. Ils mettent la fosse à l’aise. De plus, le visuel qui couvre l’arrière-plan du plateau tient du génie : de la critique médiatique à l’humour adulescent d’une génération née entre la fin des années 70 et le début des années 90. Morphing atroce de Mickaël Jackson, Dawson qui pleure en gif, le rythme appuyé par le coup de poing – en gif également – de Chuck Norris, des rap-stars aux dents en or dont la bouche suit les parole interprétées par The Shoes… Cela produit un effet scotchant certain, et dynamise l’ensemble de la foule. S’y ajoutent des vidéos de danse, années 80 en force ! Le set est à propos, on sent alors réellement que la soirée est lancée, notamment avec « Time to dance », hymne au lâcher-prise ! Dommage que ce soit encore de courte durée. La pause entre le groupe français et celui venant de Grande-Bretagne semble longue. D’autant que Django Django tape dans un registre au tempo légèrement moins soutenu. Le set est de qualité, les Anglais développent un belle énergie, ils ont le sourire qui se communique au public. Bémol : le décor et la place accordée aux visuels sont pauvres. Le côté luminescent des années précédentes, et de toute la programmation des expos de journée de la session 2015 de Scopitone laisse pourtant rêveur. Il est vrai que les Nefs sont déjà magnifiques, seules, mais les jeux de boules à facettes auraient pu être soutenus par d’autres effets irisants et mobilisateurs du regard.
La fin de cette session intraNefs sonne aux alentours de minuit, comme dans un fameux conte de fées. Pour le coup, Cendrillon et ses acolytes n’obéissent pas au couvre-feu – quitte à finir pieds nus, ils sont attendus pour la seconde session : le début de la nuit à Stereolux… Où les DJ sets et les lives au programme parviennent à nous faire trémousser avant même qu’ils n’aient commencé ! La Micro et la Maxi voient leurs plateaux accueillir différents noms de la scène techno européenne. Deux salles pour deux ambiances bien distinctes. Alors que la Micro fait une place spécifique à ce qu’il y a d’original dans le mouvement électro actuel, la Maxi voit son atmosphère se remplir de ce que la techno du vieux continent crée de plus pointu en matière de basses… Pour nos corps avides de torsions et de mouvements saccadés !
Madben ouvre le bal, alors qu’il est caché par une haute toile entourant son plateau, ses notes se répercutent dans la Maxi et la fosse est déjà pleine à craquer ! Le visuel est frappant, son Cymatics live accroche le regard tant les évolutions de formes lumineuses, blanches, rouges, ocres, jaunes se mêlent intrinsèquement aux rythmiques et aux mélodies numériques de l’artiste. L’ensemble est ficelé, belles poussées et modulations fines encensent les danseurs ravis d’entamer la nuit sur un tel pied ! Au bout d’une heure, le balcon est ouvert au public, ce qui augmente la jauge de la Maxi et apporte une perception différente : du haut le spectacle est hallucinant. Et ce n’est qu’un début…
Le live de Möd3rn se cale à sa suite et la foule s’amasse encore plus nombreuse. Les jeux de lumière – devrais-je dire de laser ? – commencent ici. On entre dans le vif du sujet : ça pousse au corps, l’adrénaline monte, la sueur perle. L’activité de la fosse impressionne par son ondulation vibratoire, rehaussée par les lasers verts et blancs qui balaient la salle de part en part, selon des directions anarchiques. Techno progressive au beat pêchu, le son tonne magiquement bien. D’ailleurs, sous les Nefs ou à Stereolux, quel qu’ait été le set, les ingénieurs ont réalisé un travail impeccable. L’acoustique et sa fluidité sont la première qualité de cette première nuit électro de Scopitone, sans nul doute.
La Micro accueille à cet instant Mugwump, qui termine son set dans une salle encore clairsemée. Le live est à mi-chemin entre le krautrock et l’électrohouse. Quoi que moins poussifs et plus envolés que les sons précédents, les jeunes individus bougent et se laissent charmer. La visuelle scénique de seconde salle de Stereolux encense le plateau de parallèles horizontales saturées de lumière. Stries toutes en longueur enrobant la scène à la manière d’une rampe inversée, les LED se déchaînent de droite à gauche – et inversement ! – sur des fréquences rouges, oranges, blanches, violettes… Persistance rétinienne assurée et éblouissement !
Or’L © Morgane Lesné
Dans le hall, le Nantais Or’L est aux platines depuis le début de la soirée et s’éclate comme un fou ; il remplace Eva Peel, et semble heureux de ce désistement ! De joyeux fanfarons s’amassent devant son plateau et dansent le robot tout en riant de cette orgie de sonorités omniprésentes.
Sam Paganini, DJ italien et socle de cette programmation nocturne, prend place dans la Maxi. Son set est attendu par beaucoup de Scopitoniens. Les steppers, jumpers et autres furibonds du dance-floor ne seront pas déçus. Tout en longueur, il balance le son comme un comédien déclame ses tirades : avec style et certitude. La chaleur monte crescendo, le balcon se peuple d’individus échauffés par la fête, parfois titubants. L’atmosphère est joyeuse, l’espace et la musique s’y prêtent de manière absolue. Progressive et légère à la fois, la techno de Paganini augmente encore la pression et le sang afflue, des pieds à la tête, ça pulse ! Et le cadran annonce encore quelques heures de sueur à évacuer…
Petit tour dans la Micro, histoire de se refroidir l’épiderme… Le duo Nôze est installé aux platines, centré sous la lumière des centaines de LED rouges et jaunes qui surplombent la scène. Le changement de ton y est frappant. Bien plus fluctuant au niveau des rythmiques… La fréquence mélodique est à l’électro swing ! Les dos se meuvent en oscillant, les hanches se balancent, certains couples de danseurs se forment et tournoient au centre de la piste. Des smiles sur la plupart des visages donnent l’impression que l’ensemble de cette nocturne est réussie. Pas de faux-pas dans l’orga, le peuple qui a investi Stereolux se déplace activement et avec fluidité. Le son, une nouvelle fois, est d’une rigueur formidable. La cour fumeur sert d’enclave calme et fraîche, face à la chaleur de l’intérieur. Les minutes passent aussi vite que la foudre…
La Micro est prise d’assaut par Torb pour le dernier set. Comment dire ?… Torb est un OVNI d’une beauté à la Star Trek. La musique se transforme à travers leurs doigts et leurs machines pour s’écouler sur des orbites jusque-là inconnues. À la limite du psyché par moment, les modulations qui emplissent l’air flottent sur une vague métallique, les aigus acérés et les basses technoïdes en structurent l’écoute. Leurs expérimentations donnent envie d’aller plus loin au sein de leur univers, d’autant que l’énergie que les deux hommes déploient sur scène est motivante, voire même contagieuse !
Boris Brejcha. Clou du spectacle… Étoile de la nuit, bonsoir ! Je suis prête à parier que les personnes présentes vendredi y pensent encore. Il nous a emmené plus loin que l’espace contraint de la salle Maxi. Près de deux heures de techno allemande d’une qualité impeccable. Après coup, malgré une fatigue pointant vers 3 heures du matin, j’étais bien heureuse d’avoir sillonné les recoins de la Maxi à ce moment-là. Plus qu’un DJ set, Brejcha nous a offert un moment de magie sur un plateau. Dessert de la nuit, clôturant sur une note superbe. Son masque, de prime abord, a incarné le point d’accroche de toutes les paires de rétines présentes. Une figure vénitienne avec un sourire rouge sang, en coin, et une chevelure haute faite de flammes torsadées. Le DJ développe alors une aura incroyable, à mi-chemin entre le sur-humain et l’extraterrestre. Secundo, le visuel ! Investi des lasers rouges, verts, bleus et blancs et de nombreux spots, il s’est fait plus explosif encore. Découpant l’espace aérien en de multiples losanges colorés. La Maxi s’est métamorphosée en une forme de chapelle numérique dont Brejcha incarnait le prêcheur. Pas de prières ni de vêpres ici, simplement une ode au son, les corps simulant une marée de flambeaux animés. Tertio, la musique elle-même ! Artiste que l’on classe habituellement dans la case »techno minimale », son panel de rythmiques pousse à creuser plus loin l’habillage… Il dit lui-même produire de la techno hightech minimale, ce qui fonctionne bien au regard de ce qu’il a balancé ce vendredi soir à Scopitone. C’était pointu, les montées et les ponts ont attisé nos systèmes nerveux et les vagues déferlantes de basses tapantes assouvirent, à chaque fois, nos désirs vifs de mouvement frappant. Ou comment satisfaire notre furie tribale jusqu’à 5 heures du matin !
Scopitone 2015, lors de cette nocturne, a encensé les humeurs et embaumé les esprits par l’alliage délicat du son et de la lumière. Merci aux artistes, pour la qualité de leurs sets. Merci aux ingénieurs, pour celle du son et des visuels. La session à Stereolux a primé tant dans le partage de sensations que dans la jouissance vibratoire, sous le signe de cette étoile Électro qui nous éclaire tel un sacré astre polaire. Et ce n’était que la première…