SERPENTINE : UNE TRANSATLANTIQUE, MER BELLE A PEU AGITEE

Vincent Dupas multiplie les projets musicaux, c’est bien sa raison d’être. Le dernier en date s’appelle Serpentine, un duo franco-américain qui en surprendra plus d’un, notamment les habitués du folk de My Name is nobody. Là, le tempo est clairement ralenti et la musique totalement instrumentale. Pour ceux qui connaissent le bel univers de Labradford, on n’en est pas bien loin. Un album imaginé, créé, composé et enregistré l’été 2014 à Chicago sorti officiellement ce 1er octobre, le groupe entame une petite tournée française rendue possible grâce aux soutiens de Penn Ar Jazz (Brest) et Stereolux (Nantes). Rencontre avec Vincent Dupas la veille du concert nantais à Stereolux, soirée partagée avec Mansfield Tya et Jambinaï, demain donc !

Photo bandeau – Serpentine © Sara Drake

Comment as-tu rencontré et monté ce projet ?
J’ai tout d’abord rencontré Mark de Pillars and Tongues, sa petite amie était assistante de français à Nantes. On est très vite devenu amis, et en 2008, j’ai fait 28 dates en un mois avec Pillars and Tongues en France, Italie, Portugal et Espagne. Evan avec qui j’ai monté Serpentine est musicien dans Pillars and Tongues. En 2009, je suis allé aux Etats-Unis pour un mois de tournée avec Faustine Seilman, Pillars and Tongues reviennent en 2010 en France. On, Pillars and Tongues, rencontre Dark Dark Dark lors de la tournée de 2008, Mark deviendra le batteur du groupe. Ensuite, le bassiste de Dark Dark Dark est parti, je l’ai remplacé sur la tournée française en tant que bassiste, Dark Dark Dark a intégré un nouveau bassiste, Adam, qui fera d’ailleurs les concerts de Serpentine à la place d’Evan. Bref, des histoires de rencontres en tournée. Depuis 2009, je vais aux Etats-Unis à peu près tous les deux ans pendant au moins un mois. J’y suis allé deux années de suite, en 2013 pour enregistrer « Safe Travel » avec My Name is nobody, et l’été 2014, j’y suis allé deux mois dont un mois entier à Chicago. J’avais cette idée d’habiter la ville. J’ai habité dans une chambre, j’avais mon matériel, j’ai acheté une guitare baryton. J’avais cette idée de vivre un quotidien, de voir mes amis hors tournée, de vivre une vie hors scène aussi.

C’est une ville qui te fascine ?
Je crois que c’est plus une affaire d’amis qui habitent cette ville. Je suis davantage fasciné par la ville de New York, qui je pense déboussole davantage. Néanmoins, Chicago évoque pour moi des groupes plutôt dans les années 90 très forts pour moi, que ce soit Shellac, Tortoise, David Pajo. Et c’est d’ailleurs assez marrant de se faire servir une bière par un gars qui joue dans un groupe que tu as adoré il y a 15 ans, ou de voir qu’il y a plus de public pour un de mes concerts avec My Name is nobody en 2013 qu’à un concert de Rob Mazurek et un type de Tortoise qui jouent. Rencontrer des gens comme çà, dans des endroits de tous les jours qui sont quand même très connus en France, c’est vraiment bien. Pour en revenir à la ville, C’est une ville gigantesque, je l’ai parcouru à vélo, en long, en large et en travers. Et puis, j’ai écouté de la musique très calme, instrumentale, car la ville était tellement bruyante. J’avais cette idée de faire un disque hommage à Labradford. Et ce qui est marrant c’est qu’Evan ne connaissait pas Labradford. D’ailleurs ma culture de Chicago n’est pas du tout celle de mes amis musiciens de Chicago.

 

Chicago Derecho
Chicago © Vincent Dupas

 

Quelle culture musicale ont-ils de leur propre ville alors ?
Plutôt Joan of Arc ou bien des musiques d’avant-garde qui mélangent le jazz à la pop, des musiques improvisées. C’est une ville musicalement cérébrale, beaucoup de musique classique, contemporaine, des musiques du monde.

Tu choisis Evan pour jouer avec toi, mais tu avais composé en amont ?
J’avais déjà composé les morceaux les premiers jours passés à Chicago. Mais je me suis senti un peu limité à un moment. Je n’avais pas vu Evan depuis longtemps, il ne joue plus dans Pillars and Tongues. Je lui ai proposé de prendre la contrebasse, il a accepté. Mark a écouté des bribes de ce qu’on avait fait, il devait programmé un groupe quelques jours plus tard pour une soirée « ambiente » dans un bar qui s’appelle The Whistler. Il nous a proposé, on a dit oui. Alors, on a bossé comme des fous, çà nous a donné un objectif pour s’y mettre à fond. Evan a joué de la contrebasse et du clavier S1 dans lequel il a samplé sa voix. On a monté les morceaux ensemble, j’ai enregistré toutes les moments de répés les deux derniers jours. Arrivé en France, j’ai trié, remonté les morceaux, j’ai passé un temps fou. J’ai finalisé le disque à Nantes.

Tu penses que tu aurais pu faire ce disque tout seul ?
Non, j’avais besoin de quelqu’un. Je ne sais pas jouer de cordes, alors que j’avais une idée de cordes, et puis j’ai ouvert le champ en invitant quelqu’un. Evan a donné un côté synthétique avec les claviers et la contrebasse et cette réverb’ incroyable, il joue sur les harmoniques.

 

Serpentine by Eric BentzSerpentine © Eric Bentz

 

Le parti pris de faire quelque chose en opposition au bruit de la ville s’est fait sur le tas, ou tu y avais réfléchis lors de précédents séjours là-bas ?
En fait, la ville est bruyante comme beaucoup d’autres. Les habitants sont assez stressés, je me suis retrouvé à côté d’une fusillade. Certaines personnes appartiennent à des gangs et pour prouver que tu fais partie du gang, tu dois tirer sur des gens. Bon, je me dis que faire une musique qui détend un peu, c’est pas mal.

Les morceaux sont relativement longs, c’est un peu lié au style, mais est-ce aussi à l’image des grandes étendues ?
Ah peut-être oui, je pourrai l’imaginer aussi comme çà. Il y a un rapport au lac de Chicago où j’allais quotidiennement pour courir, faire du vélo, ou me balader comme çà. C’est un poumon dans la ville, un lieu où tu croises plein de communautés qui vivent ensemble. Pour en revenir à la longueur des morceaux, c’est assez inhérent à la musique. Sur le dernier morceau du disque, je joue le même thème pendant 10 minutes avec des variantes. J’aime beaucoup Arvo Part , Fur Alina par exemple, ou bien Raphael Toral et le disque « Sound mind, sound body « . J’aime bien toutes ces nappes, cette musique qui s’étire. Je crois que Serpentine, c’est un peu çà, une musique pour se poser.

Il y a de l’improvisation dans votre travail avec Evan ?
Oui, il y a eu des moments d’improvisation. Après, on les a calé, on les a enregistré. On s’est fixé des choses pour les enregistrer, on voulait des choses harmonieuses.

 

Chicago Vincent D & Adam Wozniak
Vincent Dupas & Adam Wozniak © DR

 

Comment tu te sens jouer avec des Américains au-delà du fait que ce soit des amis ?
Ils ont tous un bagage classique, ils connaissent tous le solfège, et cela m’a intimidé au tout début. Mais il suffit de connaître le langage, les grilles d’accord. Globalement, ils se posent moins de questions que nous, on arrive très vite à des résultats satisfaisants. Les gens là-bas se foutent que tu sois français et que tu chantes en anglais. Ils sont dans le plaisir de la musique à l’instant. Et puis, sur une même soirée, tu peux jouer après un groupe de riot girls, et avant un accordéoniste, y a pas de soirée à thème, la musique s’enchaîne sans calcul. C’est fun.

Pour en revenir à la couleur musicale de Serpentine, c’est aussi pour faire quelque chose de très différent par rapport à My Name is nobody, vu aussi que Fordamage n’existe plus ?
Ah peut-être. Cela faisait en tous cas deux ans que je voulais faire un disque ambient et je n’arrivais pas à le faire à Nantes. J’ai écouté dans le métro « Music for airports » de Brian Eno, j’ai eu le déclic. Je me suis retrouvé dans un environnement, sans pression, où je savais que mon téléphone n’allait pas sonner, que je n’avais pas de concert les trois semaines à venir, je n’avais rien à organiser. Et puis, j’ai passé beaucoup de temps tout seul, mes amis étaient tous au travail.

Tu penses que tu pourrais aller dans une autre ville et y faire un disque ?
Je me suis un peu posé la question en juin, car je suis allé en Asie du Sud-Est avec My Name is nobody. Je n’y serai jamais allé si on ne m’avait pas proposé des concerts là-bas. En Birmanie, je me suis senti très bien, on a joué avec des locaux. Mais çà aurait été différent, çà m’aurait emmené vers quelque chose de plus pop. J’attends les enregistrements, car on a enregistré sept morceaux avec des Birmans. Après le disque « Safe travel », j’ai senti une sorte de lumière là-bas. Mais globalement, je crois que je suis plus à l’aise dans un pays comme les Etats-Unis, je peux davantage interagir, aussi parce que je maîtrise la langue.

En occultant le problème de la langue, y-a-t-il un pays qui te brancherait même au-delà de sa musique ?
J’aimerais bien aller au Japon. J’ai lu dernièrement une interview de Jim O’Rourke qui vit là-bas, je suis toujours assez fasciné par les gens qui ont la force de partir comme çà dans un un endroit où tu vas être paumé et où tu dois refaire beaucoup de choses. Mais je crois que je pourrais repartir à Yangon en Birmanie. J’ai toujours été attiré pour le Mali, mais je ne crois pas que j’y serai à l’aise.

 

Chicago MNIN + P&T
My Name is nobody & Pillars and Tongues © DR

 

D’où vient ce nom Serpentine ?
C’est une roche verte que j’ai découvert lors d’une baignade dans le Marin County à Oakland, près de San Fransisco, avec un ami, Kevin qui joue dans Enablers.

Pour le mastering, tu as choisi Meriadeg Orgebin, pour quelles raisons ?
Oui, il faisait le son de Fordamage, il jouait dans Chausse Trappe, et je lui avais posé des questions pendant que je mixais ce disque. Il m’avait proposé de venir chez lui avec mon mix et de le repasser dans des machines plus analogiques, des préamplis à lampes, pour faire un master plus chaud au niveau du son. Et puis, c’est toujours bien d’avoir quelqu’un qui a une autre écoute sur ce que tu as fait et qui te permet de corriger ou d’amplifier certaines choses. Meriadeg a enregistré beaucoup mais peu masterisé. Il vient de masteriser un mini album que je vais sortir avec My name is nobody en cassette.

Et ce concert à Stereolux alors, quelle forme va-t-il prendre?
Il faut bien préciser qu’à l’origine de ces quelques dates en France, il y a une coproduction Stereolux/Penn Ar Jazz pour soutenir cette création autour de la musique de Serpentine et un travail sur l’image plutôt analogique que va présenter Sara Drake avec des rétroprojecteurs et un vidéoprojecteur. On va jouer dans les images projetées dans une boîte, nous, musiciens sommes dans la boîte. C’est bien le point de départ de la venue de Serpentine en France pour ces quelques dates.

 


Clip de Serpentine

 

La suite de tout cela pour toi ?
Et bien cette cassette 50 exemplaires qui s’appelle « The action of non action » , concert de sorti dans la tour du LU le 13 novembre. J’ai aussi fait quatre mini-films aux Etats-Unis et de la musique improvisée composé avec Kevin d’Enablers et Lenny Gonzalez. Ces films seront diffusés via le label Quatre d’Antoine Bellanger. Ces films seront diffusés à raison de un par mois, à partir du dimanche 11 octobre.

Et puis, j’ai intégré un nouveau groupe, Hawaiian Pistoleros, un répertoire de vieux morceaux américains allant de la country, à des choses early Elvis. C’est une nouvelle collaboration, on a quelques dates. Je me retrouve à jouer avec de nouvelles personnes, un autre langage, c’est stimulant. Et puis, j’ai en tête d’enregistrer un nouveau disque de My Name is nobody dans notre studio que nous, collectif Force Béton, sommes en train de finaliser. Ce nouveau disque serait composé et joué avec des musiciens nouveaux, hormis mon batteur. J’ai envie de jouer avec de nouvelles personnes d’autres générations, des gens plus jeunes. Et puis pourquoi pas reproduire l’expérience de prendre des images d’une ville et de composer en même temps. C’est très stimulant ce genre de projets.

 

Bandcamp SERPENTINE

En concert jeudi 15 octobre à stereolux (Nantes) avec Mansfield Tya et Jambinaï.

 

Vidéos tournées par Vincent Dupas à Chicago, musiques Serpentine

ATTEMPTING DRONE by Vincent Dupas from quatre on Vimeo.

INEVITABLE BLUES by Vincent Dupas from quatre on Vimeo.

Rédactrice en chef de ce site internet, chargée d'info-ressources à Trempo. Passionnée évidemment par la musique, toutes les musiques, mais aussi par la mer et la voile, les chevaux, la cuisine et plein d'autres choses.

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