Un animal hybride d’une mythologie imaginaire donne nom au nouveau projet de Clémentine Blue, Angevine découverte au sein de The Dancers et installée à la capitale anglaise. Cette nouvelle vie semble alimenter l’inspiration artistique et apporter de la réflexion à cette jeune artiste qui sort un nouvel ep sur le label angevin Wild Valley, une affaire de famille en somme. Entrevue avec Clémentine et Jeff peu avant leur concert à La Scène Michelet le 15 novembre dernier.
Visuel bandeau : Celestial – Clémentine Blue
Tu jouais dans The Dancers avant de monter Tiger Lion, peux-tu revenir sur ta trajectoire musicale ?
Clémentine : Je suis angevine, j’ai déménagé à Brighton avec Corentin et Mathieu de The Dancers. Au bout de six mois, les gars sont rentrés en France pour d’autres projets (Samba de la Muerte, Concrete Knives). Pour ma part, j’ai décidé de rester en Angleterre, j’ai écrit mes propres morceaux, j’ai enregistré dans ma chambre, j’ai exploré des sons, des edits de samples.
Pourquoi l’Angleterre ?
C : A l’époque de The Dancers, on avait un manager à Londres, c’est bien pour cela qu’on est partis à Brighton qui est proche de Londres sans être aussi intense que Londres. Des musiciens m’ont rejoint sur le projet. Sur ces quelques dates en France, Mathieu, l’ex-batteur de The Dancers, nous accompagne. J’ai aussi joué pendant un an dans Michael A Grammar un groupe psyché anglais, belle expérience. A côté de ça, je suis monteuse vidéo en freelance, ce qui me laisse beaucoup de temps pour la musique.
Moon Child – Clémentine Blue (modèle : Michaela)
En Angleterre, tu ne peux compter que sur toi même, personne ne te dit « ah vous devriez essayer cette stratégie de développement ». Il faut se prendre en charge, à l’anglaise.
Le fait de vivre en Angleterre induit quoi ?
C : Il y a beaucoup beaucoup beaucoup plus de musique qu’en France : des musiciens, des endroits, tout le monde joue dans un groupe. C’est à la fois très inspirant et cela donne aussi l’impression d’être submergé et d’être insignifiant. Les concerts ne sont pas toujours top, parce que le matériel n’est pas super, ou que le public n’est pas là, il y a tellement de choses à aller voir. Mais pour mon projet, je me sens bien là-bas pour écrire, pour explorer les sons, pour mixer les arts car je fais aussi de la photo, je fais mes clips, et un peu de peinture.
La culture, la langue, les Anglais t’inspirent directement ?
C : A la base, c’est de là que je viens. Mes parents écoutent les Beatles, Pink Floyd, et depuis l’âge de 12/13 ans, j’avais envie d’aller en Angleterre pour la musique qu’elle produit. Je me sens très imprégnée de la langue et par ce choix « d’exil ». Mon premier ep qui s’appelait Outre Mer fait directement écho à cela. J’ai eu et j’ai des moments de doute, de mal du pays aussi. Je me sens entre deux pays, je me sens un peu anormale, un peu « exotique ». Je fais beaucoup d’aller retours en France, et mon ep récemment sorti parle de cycles, de ces allers retours, de répétitions.
Comment perçois-tu la manière des Anglais de jouer de la musique ?
C : Tout est plus à l’arrache, tout est plus roots, rock’n roll. J’ai beaucoup aimé parce qu’avec The Dancers on bossait beaucoup, mais on était un peu materné par les salles et les structures d’accompagnement. Ca m’a poussé que de me retrouver dans une forme de jungle, un peu seule. Ca faisait six ans que je jouais avec les mêmes personnes, et me retrouver un peu toute seule à écrire, me retrouver à aller à Londres en train faire une date roots avec un groupe, tout cela m’a fait du bien. Ce sont des expériences qui font avancer. En Angleterre, tu ne peux compter que sur toi même, personne ne te dit « ah vous devriez essayer cette stratégie de développement« . Il faut se prendre en charge, à l’anglaise.
Of The Moon – Idil Ceren / peinture Clémentine Blue
Qui vient compléter le groupe ?
C : Jeff qui a mixé le disque et qui joue sur scène. Il a beaucoup adapté le disque pour la scène, et notamment le travail autour de la guitare qui reprend pas mal d’effets électroniques. Il y a aussi un batteur, Dan, qui est de Watford. Tous les trois, on a beaucoup travaillé le live, la collaboration se passe très bien. Il n’était pas dispo pour ces dates en France, c’est Mathieu de The Dancers qui le remplace.
Tu viens d’où Jeff ?
Jeff : Je suis angevin aussi, j’ai joué dans The Paddocks et rejoint le label Wild Valley avec Romain. On a rencontré Clémentine avec le label, et on était assez intéressé pour développer quelque chose avec l’Angleterre. J’ai monté la tournée française de novembre, quatre dates, Angers, Nantes, Orléans et Paris. L’idée est de tourner en Angleterre en janvier et février, et revenir en France en mars pour une tournée plus conséquente. Le label se développe beaucoup, on va obtenir une licence d’entrepreneur, chacun prend part au développement de l’asso. On a ajouté deux groupes au catalogue, Tiger Lion donc et La Houle.
J’aime bien cette idée que la lune influence la terre, les marées, et les humains, le prisme de la lune filtre mes propres émotions.
Revenons au disque, tu le présentes comme un disque concept ?
C : Oui, c’est un concept autour de la lune et ses cycles, on en revient à la notion du cycle que j’évoquais avant. Il contrebalance avec l’ep précédent qui est très ensoleillé, aquatique. Celui-ci est plus sombre à l’image de ma vie, mélancolique, assez triste. Il parle de l’intuition, du surnaturel, de son for intérieur, de la force des éléments. J’aime bien cette idée que la lune influence la terre, les marées, et les humains, le prisme de la lune filtre mes propres émotions. Pour évoquer tout cela, j’ai collaboré avec d’autres artistes, en photographie notamment. J’ai conçu un site web avec les différentes phases de la lune en cercle, j’ai sorti un élément vidéo (clip ou video art) par phase en suivant la lune. Le disque est sorti à la fin du cycle pour la nouvelle lune, à savoir le 1er novembre.
J : Le disque est sorti en numérique et en physique, un format 7 pouces ou 45t avec un CD, les textes et trois photos dedans à 50 exemplaires. L’objet est fait à la main, il est vraiment réussi.
Of The Moon – Idil Ceren / peinture Clémentine Blue
J’ai besoin d’un petit noyau qui brille et qui émane d’une thématique, j’ai l’impression de coudre autour, et tout s’emboîte.
Tu considères que la notion de thématique te guide dans ta « production » artistique ?
Oui. J’ai besoin d’un petit noyau qui brille et qui émane d’une thématique, j’ai l’impression de coudre autour, et tout s’emboîte. Cela permet aussi de creuser un thème, d’avoir de nouvelles connaissances. J’ai fait des recherches sur la lune, je me suis plongée dans le romantisme, je me suis penchée sur le travail du peintre Turner et du poète William Blake, j’ai beaucoup lu Shakespeare, tous ces artistes ont exploré ou exprimé la lune. La lune évoque autant la mort avec ses aspects maléfiques souvent relatés qu’une dimension bénéfique aussi. La lune représente la naissance quand elle est nouvelle, mais aussi la mort. Tout cela m’intrigue, c’est extrêmement réel.
Ces inspirations étant si personnelles, le travail collectif est facile ?
C : J’écris vraiment toute seule, je m’exprime, je me sens bien. Les musiciens s’approprient les morceaux, et ne trahissent rien. Jeff a modifié des trucs mais on en a toujours parlé en amont. Le travail est lent, on prend le temps, je suis pas mal dans la lune, c’est le cas de le dire…
J : Clémentine est très sensitive, mais exprime bien cela, elle m’explique, et j’arrive à assez bien traduire ses émotions et ses intentions. C’est une discussion perpétuelle.
Tu as déjà une thématique pour le disque suivant ?
C : Je vais revenir sur terre et je vais entamer un travail d’écriture autour de la montagne en faisant moi-même l’expérience d’excursions. J’ai vécu une première expérience l’été dernier, je me suis à la fois sentie très bien et à la fois très mal. C’est très impressionnant, je me suis sentie submergée, j’ai envie de travailler le field-recording dans ce contexte. Ces projets artistiques jalonnent mon existence, c’est très important pour moi pour avancer. Le visuel et le sonore vont de pair pour moi, j’ai besoin de construire autour des sens. J’ai envie de travailler les aspects visuels pour le live justement.