La première plage de l’album se niche sur » Les plaines de Mazerolles », cette étendue d’eau bordée de marais où l’Erdre a rendez-vous avec la lenteur d’un débit apaisé. Apaisé comme le piano d’Armel Dupas dans cette ouverture sereine, joyeuse et volubile. C’est à la seconde plage que, s’éloignant temporairement d’une esthétique que l’on pourrait affilier à Charles Koechlin [1]ou Eric Satie[2], Armel Dupas pose des harmonies jazz sur son clavier. Mais, dans le même mouvement, « La vie d’avant » avance dans un traitement électronique qui transforme, réverbère, étire, en un mot sublime le son du piano. Ce n’est pas tout et à la troisième plage on navigue entre choro[3] et valse musette avec cette « Petite bretonne » au ton sobre et séduisant. Aucune virtuosité démonstrative au fil des morceaux et le titre « Sometimes I need some time » l’affirme bel et bien. Cependant attention, si la musique semble reproduire le calme intérieur dont elle provient, nous sommes à mille lieux du easy listening et la facture sophistiquée du titre le montre parfaitement. Traitements électroniques et superpositions sonores s’articulent avec une insolente évidence. Et puis il y a cette chanson, « Aujourd’hui il a plu », miracle de simplicité sans fard où la voix de Chloë Cailleton (la complice de longue date) porte sobrement le texte de Jean Guidoni en mêlant par instant son timbre à celui du saxophone alto de Lisa Cat-Berro. Ce trio là fait tomber les frontières musicales et le lexique critique semble obsolète pour l’évoquer. C’est fou ce que les cinq premiers titres de cet album disent déjà de la liberté formelle d’Armel Dupas ! Le reste est à l’avenant. Il faut lire le texte qu’il a rédigé pour le livret. Il y dit tout du rapport intime qu’il a à ces romances sans paroles qui lui sont inspirées par ses rencontres au fil du temps. Et il y évoque le contre-courant (Upriver) qu’il emprunte, à l’instar des aventuriers du Third stream [4]qui émergea, à l’orée des 50’s et particulièrement du Birth of the cool de Miles Davis et Gil Evans. Parlons encore des manipulation électroniques qu’Armel Dupas a confiées pour l’occasion à son ami et arrangeur Mathieu Penot. Celui-ci fait du « piano d’enfance venu de la Pologne communiste », sous le touché délicat d’Armel Dupas, un générateur d’aventures sonores poétiques, respectant son timbre tout en le pervertissant avec jubilation. On pense parfois à l’invention d’un Brian Eno ou à Radiohead. En conclusion, voilà un album riche de musiques qui viennent poser leur invention fécondes et leur voile d’inspiration chaleureuse sur l’âpreté du temps. Merci Armel.
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[1] Compositeur et professeur, auteur d’un traité d’harmonie (1867-1950)
[2] Compositeur excentrique et inspiré (1866-1925)
[3] Genre musical urbain né au 19ème siècle au Brésil et toujours populaire.
[4] Mouvement musical des 50’s théorisé par le corniste et compositeur Gunther Schuller
Une interview d’Armel Dupas sera en ligne ce vendredi 18 septembre.