Plongée dans l’univers du blues, avec le jeune guitariste-chanteur du duo formé avec le batteur Kevin. Lorsque j’ai vu Warren pour la première fois sur scène, il avait 16 ans (aujourd’hui il en a 20), une guitare acoustique, une voix à la Skip James et toute la panoplie des émotions liées au blues. J’en étais resté scotché, bouche bée. Comment un gamin pouvait-il me transmettre une telle charge émotionnelle avec une musique vieille de plus d’un siècle et née dans ce contexte si particulier qu’est l’esclavage dans le delta du Mississippi ? J’avais envie de comprendre… Et j’ai rencontré un garçon très mature dans sa démarche, ayant une vision du monde déjà bien affûtée.
Tout d’abord, comment as-tu fait connaissance avec le blues et qu’est-ce qui t’as motivé ensuite pour approfondir cette rencontre ?
Warren : J’ai découvert cette musique, lorsque j’avais 5-6 ans, tout à fait par hasard avec des choses comme les Blues Brothers, des sons plutôt actuels, et puis je suis allé rapidement chercher dans le Delta blues et ce qui était énorme, c’est ce que je pouvais ressentir avec ces sons qui grattent et pourquoi ça me faisait autant d’effet, j’avais reçu un véritable coup de poing dans la gueule. Ce n’est donc pas porté par un milieu familial musicien que j’ai croisé la route du blues. Peut-être qu’à cette époque je me sentais un peu seul comme garçon. Donc j’ai commencé le chant à 6 ans et la guitare à 9 ans.
A quels sentiments vient se référer le blues ?
C’est hyper dur pour moi de mettre des mots sur la musique, C’est plutôt la tension qui naît dans cette gamme qui est toujours utilisée, cette émotion plaintive et même sans connaître l’histoire de cette musique je devinais qu’elle était créée par des gens qui n’avaient pas une vie comme les autres.
Aujourd’hui écoutes-tu toujours les bluesmen-women qui sont à l’origine de cette musique?
Oui, tous les jours j’essaie d’écouter ces vieux enregistrements. J’ai découvert Alan Lomax(ethnomusicologue) qui a fait un travail de collectage prodigieux et puis aussi la série de films et CD de Martin Scorcese
As-tu des liens particuliers avec les musiciens blues de la région ?
Il y a trois personnes avec qui j’ai des liens privilégiés : Philippe Ménard, Mathieu Fromont de Bo Weavil et Manu Frangeul l’harmoniciste de Malted Milk. Et puis j’ai commencé tôt à fréquenter le bar « Le Canotier » à Nantes, faire des bœufs où d’ailleurs je n’ai pas été très bien accueilli au début,du fait que j’étais jeune(trop) sans doute. Je ne retrouvais pas les valeurs que véhicule cette musique. Il y avait chez eux ce sentiment que leur musique c’est la meilleure et qu’il n’y en a pas d’autre.
Est-ce que tu penses que tous les bluesmen actuels sont imprégnés de l’esprit blues originel ?
Oui je crois car ils sont obligés de s’y référer, c’est un langage dans les phrasés qui fait forcément référence à des gens comme B.B. King ou Robert Johnson, on puise toujours dans les mêmes gammes. Ce qui est dur aujourd’hui c’est d’arriver à faire rêver avec si peu de notes.
Les formations qui sont les plus visibles dans le paysage aujourd’hui ne se réduisent-elles pas au format : guitare-basse-batterie ?
Oui, mais parce que c’est ce qu’il y a de plus populaire et que c’est basé sur des reprises. Mais il y en aussi qui font leur blues à eux, je pense à Gary Clark Jr qui cartonne avec un blues acoustique
Est- qu’on peut transposer l’essence du blues dans notre société ?
Oui,il faut que ça parle directement aux gens, mais malheureusement il ne sonne pas des masses dans notre langue française, parce qu’il est construit de plein de sons, de placements de langue qui sont typiquement anglophones. Quelques uns ont réussi mais ils sont rares, je pense à Bill Deraime qui y a mis en plus de l’humour. C’est un pari difficile.
Aujourd’hui tes compositions sont en anglais, est-ce que tu as envie de tenter le français ?
Ce n’est pas mon premier désir, paradoxalement je ne me sens pas assez à l’aise pour écrire en français. J’ai fait quelques essais mais je ne suis pas satisfait . Ce qui me passionne c’est plus les sons que les textes car au début j’écoutais cette musique sans comprendre les paroles.
Le blues serait-il une éponge pour une société qui a mal quelque part ?
Certainement, et même sans comprendre les paroles, le blues exprime ses problèmes mais c’est vrai pour toutes les formes musicales, les gens vont à des concerts pour oublier leurs soucis ; C’est aussi le rôle de la musique. Et je pense que si les gens écoutaient plus de blues ils seraient moins stressés(dit-il en riant)
Est-ce que ta musique te sert aussi de carapace mentale à l’image des noirs qui en avaient fait une musique de joie et d’espoir ?
Oui, il y a toujours un petit côté carapace déjà au niveau de l’identité et je pense que, quelle que soit la musique que je jouerai, ce sera toujours du blues dans ma tête et dans mon cœur.
Quelle est ta vision du monde aujourd’hui, plutôt optimiste,pessimiste?
Je suis plutôt optimiste de caractère, pour ma part je prend ce qui me paraît bon, je suis assez opportuniste. Au début quand j’ai commencé à jouer du blues, je me sentais un peu seul(j’étais gamin)et je pensais que je ne trouverais jamais de musiciens pour partager cette musique. Ce qui s’est avéré complètement faux car j’ai trouvé très vite. Je me sentais un peu en mission pour porter cette musique-là et la ramener au goût du jour, ce que je ne ressens plus aujourd’hui. Je veux seulement vivre de ma musique et m’éclater sur scène. J’ai envie de partager cette musique. Si j’avais un message à faire passer ? …Sortez, allez voir des spectacles, prenez le risque de choses que vous ne connaissez pas , mais lâchez la télé.